Depuis que Jean-Baptiste Poquelin est devenu Molière, son nom est devenu symbole du théâtre à la française. Ces textes sont souvent adaptés, modifiés, transformés mais jamais oubliés. Parfois, ils soufflent même un vent de modernité voyant venir Scapin prendre à nouveau vie pour des fourberies.
Tout débute en 1671, le Palais Royal est en travaux afin d’installer de la machinerie. Molière profite de cette accalmie pour écrire « une pièce de troupe, écrite non pour la cour mais pour le peuple ». Il veut se libérer des contraintes des comédies ballets. Un vent de liberté qui permet de faire une mise en scène plus audacieuse. Une opportunité que va saisir Tigran Mekhitarian de l’Illustre Théâtre (version 21éme siècle). La scène ne s’ouvre pas sur un décor de Naples et de son port maritime. Mais sur une sorte de squat avec pour seuls éléments des palettes et un escabeau. Sur un grand tissu tendu en hauteur, on peut lire le mot justice tagué avec des noms, un énorme cœur et l’ombre du personnage de Songoku. Le cadre est posé alors le fait d’entendre du rap, de porter des sweats à capuche devient totalement cohérent. On peut se demander que va-t-il arriver à la langue de Molière ? Va-t-elle subir une karchérisation version ghetto ?
Pas de panique, la langue de Molière va se mélanger avec la langue de la jeunesse actuelle avec beaucoup de finesse et d’intelligence. Rien de facile ou de gratuit, tout trouve un équilibre et un sens. On pourrait très bien croire que le jeune Octave dise à son père qui refuse son mariage : « Tu me pètes les couilles ». En tout cas, la cinquantaine de collégiens semblent apprécier et leurs rires sincères en est la preuve évidente. Pas de bavardages intempestifs pendant 1h45 de spectacle. Ils sont comme les autres spectateurs, ils se sont emportés par l’histoire. Un garçon a décidé d’épouser une jeune femme sans le consentement du père et l’autre aime une femme sans titre. Quand les deux pères reviennent de leur voyage en mer, ils n’apprécient pas cette situation. Par chance, le fidèle et fourbe serviteur Scapin va grâce à d’habile stratagème remettre tout en ordre. Mais au final lui sera t’on reconnaissant ? Un récit qui a l’air un peu simple mais c’est sans compter sur les tracas des émotions, des trahisons, les passés douloureux, les secrets….
La virtuosité de la pièce repose sur le talent indéniable des jeunes comédiens. Tout d’abord, le Scapin des temps modernes qui arrive avec baskets, jogging et sweat. Tigran Mekhitarian l’incarne à merveille en lui donnant une énergie et une irrévérence incroyable. Quelle performance lorsqu’il joue plusieurs agresseurs pour se venger du comportement d’Argante. Géronte, Silvestre, Nérine, Carle, Zerbinette, Léandre, Hyacinte, Argante Octave joués par Isabelle Andrzejewski, Théo Askolovitc, Pauline Huriet, Louka Meliava, Théo Navarro-Mussy, Etienne Paliniewicz, Blanche Sottou et Samuel Yagoubi montrent un jeu vif, espiègle, fougueux, passionné, impétueux… Un esprit de compagnie qui se ressent et donne un rendu surprenant qui séduira autant le petit jeune que l’adepte des pièces de JB Poquelin.
Une adaptation insolente et audacieuse qui montre que l’écriture de Molière est intemporelle.
Où voir le spectacle?
Théâtre 13 Seine
30 rue du Chevaleret
75013 Paris
métro Bibliothèque François Mitterrand
Jusqu’au 14 avril 2019