L’Amour pousse les individus à faire n’importe quoi. Il n’y a pire chose que d’être seul face à sa solitude. Et parfois pour éviter ça, on accepte le pire et on devient tout autre.

Jean Cocteau écrit plusieurs versions du « Bel Indifférent ». A la demande d’Edith Piaf, il réécrit son histoire pour en faire une poésie et l’autre une pièce de théâtre. La chanteuse l’interprétera sur scène en 1940 et 1953. En 1957, c’est au tour de Jacques Demy d’en faire un court métrage. Puis le texte connaît d’autres vies ici et là jusqu’au moment où Christophe Perron veut se l’approprier. Lui aussi à ses affinités créatrices. Il donne un souffle de modernité à cette tragique histoire en mélangeant les arts pour mieux cueillir le spectateur. Car lui non plus, ne sait pas ce qui l’attend.

La stupéfaction débute aussitôt. Nous voilà plongé dans un concert. Nous voyons le derrière de la salle de concert où se produit le personnage incarné par Romane Bohringer. Le public imaginaire est là, présent, projeté sur les murs du plateau. Seul l’image de l’artiste est face à nous. En transparence, nous apercevons aussitôt les cinq musiciens qui l’accompagnent. Quand le spectacle se termine, elle prend la route pour retrouver sa chambre d’hôtel. Nous sommes à ces côtés grâce à ces images de la ville qui défilent devant nous. Le chemin est long et l’espoir est grand. Car quand elle arrive enfin, elle est seule. Où est-il son amant, son aimé? Le poids de l’absence est lourd.

Quand enfin, il débarque, il garde le silence. Elle l’invective. « Où étais-tu? ». Il l’ignore. Regarde au loin. « Il est possible qu’un jour je te tue ». Il reste indifférent. « Je sais tu écoutes et que je t’ennuie ». Elle perd progressivement pied. Lui si beau, si jeune, au corps si parfait, éphèbe attirant. Est-ce son âge qui le rebute? son attitude? son mode de vie? Elle n’en tire que des conclusions hâtives. D’autant plus quand l’appelle d’une femme surgit pour passer la soirée avec lui. La violence prend la place des mots. Tout ne peut que finir mal.

On assiste à quelque chose d’une audace folle et d’une ingéniosité éblouissante. Cela s’impose dès les premières minutes où l’on est emporté par la musique et la juste utilisation des projections. Tout fait sens et rien n’est gratuit. Influence et cadrages cinématographes présents pendant toute la représentation. Elle ponctue, adoucit, focalise certains instants. Pourquoi décrire lorsqu’on peut montrer? La qualité des morceaux et leur interprétation par Emmanuel Jessua, Maurice Marius, Jonathan Maurois, Pierre Rettien et Charles Villanueva est éblouissante. Surtout qu’ils ne sont pas cachés. Ils restent présents en transparence. En même temps, leur but est d’accompagner le coeur de l’action. Souvent, le metteur choisit un comédien qui reste à faire la plante verte pendant une heure. Pourquoi ne pas utiliser l’artiste autrement? Voilà que Tristan Sagon communique autrement. Il donne à dire et à voir avec son corps à travers la danse. Quelle élégance dans la violence, la cruauté et la haine qu’il arrive à transmettre.

La véritable surprise est l’époustouflante prestation de Romane Bohringer. Elle tient son personnage de main de maître pendant 1h10. Elle n’a pas le temps véritablement de souffler. Impossible de ne pas être convaincue qu’elle est dans son personnage et qu’elle se donne à lui à 2 000%. Elle joue, elle chante, elle danse et toujours avec la justesse nécessaire. Parfois on oublie son personnage pour l’admirer elle et sa prestation incroyable. Elle nous émeut, nous bouscule, nous pousse dans nos retranchements. Dans la salle quelques larmes coulent ici et là. A la fin de l’envoi, elle touche. Alors quoi de plus naturel que le public se lève pour applaudir chaleureusement encore et encore pour remercier tout à chacun de donner des lettres de noblesse au théâtre comme une source d’étonnement et de renouvellement. Donc MERCI à tous ces talentueux artistes d’avoir collaborer si durement pour produire une pépite si belle et poignante.

Parfois il est utile que des artistes contemporains s’approprie des textes d’un autre temps. Ainsi avec leur curiosité et leur bravoure, ils donnent à voir au delà des mots en pénétrant dans le royaume de l’émotion

Où voir le spectacle? 
Au Théâtre de l’Atelier jusqu’au 12 novembre 2023

 

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