Bienvenue dans le monde glacé d’un château suédois, où les frontières entre jeu, manipulation et vérités cachées restent troubles. Avec sa plume incisive et légère, Françoise Sagan livre une pièce à la fois drôle, dérangeante et touchante. Portée par une brillante interprétation, Château en Suède entraîne son public dans un huis clos où la noirceur humaine se dévoile avec finesse.

Au Théâtre de Poche, les spectateurs découvrent l’univers singulier de Françoise Sagan à travers Château en Suède. Ce huis clos enneigé mêle l’esprit malicieux de l’autrice à une interprétation subtile et raffinée. Créée en 1960, la pièce explore la complexité des relations humaines, au cœur d’une famille aux comportements déconcertants, qui joue avec les émotions de ceux qui croisent sa route. Chaque personnage participe à l’élaboration d’une atmosphère tour à tour légère et inquiétante. Éléonore, au centre de l’intrigue, incarne une femme multiple : sœur, amie, épouse et maîtresse. Elle manipule ses prétendants et savoure les émotions puissantes qu’elle suscite. Sébastien, son frère cynique, refuse de s’affranchir de leur relation fusionnelle, presque malsaine. Perdu, à l’image de ce château coupé du monde par la neige, il se complaît dans un cynisme nourri par la candeur des amants d’Éléonore, allant jusqu’à séduire et mettre enceinte une femme censée être morte.

                                                               © Studio Vanssay

Parmi les autres protagonistes, un cousin éloigné, devenu amant, se laisse facilement piéger par le charme d’Éléonore. Aveuglé par son orgueil et l’appel de la chair, il ne voit ni la complexité des liens familiaux ni la cruauté des jeux auxquels il participe, sans le savoir. Que ne ferait-on pas pour échapper à l’ennui ? Mais la pièce ne s’arrête pas à ces figures centrales. Elle s’enrichit de personnages secondaires hauts en couleur, comme une belle-sœur vieille fille, attachée avec ferveur aux traditions familiales d’un autre siècle et aux souvenirs des ancêtres suédois. Tous contribuent à renforcer cette ambiance décalée, où la légèreté d’un conte côtoie une étrange noirceur. Odile Blanchet, Bérénice Boccara, Gaspard Cuillé, Emmanuel Gaury, Sana Puis et Benjamin Romieux livrent une interprétation remarquable, donnant vie à ce texte avec une intensité saisissante. Le temps file, emporté par le talent des comédiens au service d’une œuvre rarement jouée.

L’écriture de Françoise Sagan, à la fois fine et désinvolte, ponctuée de dialogues incisifs et de silences évocateurs, évoque les jeux théâtraux de Marivaux ou d’Alfred de Musset. Elle détourne avec élégance les codes du théâtre classique pour interroger, en filigrane, les illusions, les apparences et la condition humaine. La mise en scène d’Emmanuel Gaury et Véronique Viel amplifie cette réflexion avec ingéniosité. Entre un château miniature en plastique, une grand-mère installée sur un fauteuil roulant tout aussi artificiel et un rideau de perles scintillant, chaque élément scénographique contribue à créer une atmosphère étrange, entre mystère et mysticisme.

Avec son écriture virtuose et une mise en scène captivante, Château en Suède dépasse le cadre de la simple représentation théâtrale pour devenir une véritable plongée dans l’âme humaine. C’est une œuvre à découvrir, idéale pour ceux qui aiment être surpris, transportés et, parfois, un peu troublés. Dans ce huis clos glacé, on ressort les yeux brillants et l’esprit habité par de multiples interrogations.

Où voir le spectacle? 
Au théâtre de Poche à partir du 21 novembre 2024
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