Il y a des évènements qui marquent à jamais des vies. Louve Reiniche-Larroche en sait quelque chose. D’ailleurs, elle décide de partager un de ces moment avec le public.

Quand on arrive dans la salle, la scène nous intrigue. Nous y voyons juste un tapis sur lequel sont posés un canapé et un petit meuble avec au plafond un luminaire. Où allons-nous être mené? Louve Reiniche-Larroche arrive avec un fauteuil roulant puis un objet de prise de son. Cela intrigue d’autant plus. Et là débute la surprise et l’émerveillement. La comédienne incarne sa famille lorsqu’on écoute leurs témoignages.

Elle débute avec son grand-père. Par conséquent, elle est assise dans le fauteuil roulant imitant son grand-père sur la bande-son qu’elle a préalablement enregistré. A la question « Qui êtes-vous monsieur? », il semble difficile de répondre. Puis il s’ouvre avec ses souvenirs. « J’ai toujours fait des choses extraordinaires ». « Un beau jour j’ai admiré la beauté de ta mère ». Non, bien entendu, c’était la grand-mère. Il voulait lui faire l’amour. Et quand c’est arrivé, paf, elle est tombée enceinte. Donc, ils ont du se marier. Louve oriente la conversation sur sa mère, Brigitte. Les choses deviennent flottantes.

Alors on va à la rencontre de Suzanne Larroche. « Je suis née à Paris de parents bretons ». Elle n’est plus toute jeune puisqu’elle est née en 1933. C’est la mère de Brigitte. « C’était comment d’avoir des jumeaux? ». Elle partage des anecdotes sur l’éducation de ces bambins. Quand il fallait imaginer des trucs pour les gérer, elle trouvait toujours. « Comme quoi, je suis géniale ». Le ton change et devient plus triste quand il est question de sa fille. « Ta mère, elle encaisse, elle dit rien […] elle encaisse tout le temps ». Tout est mesuré dans ces mots. Il faut éviter à tout prix les gros mots.

Pour Marianne, c’est tout autre chose. « Je suis la bru par rapport à Brigitte ». A la question, comment elle décrirait Brigitte, elle n’hésite guère. « C’est quelqu’un qui pense toujours aux autres ». L’émotion l’a submerge et on lui dit : « Tu as le droit de pleurer ».

« Je m’appelle Basile. J’ai 36 ans » dit-il totalement détendu, confortablement assis dans le fauteuil, vapoteuse à la bouche. « Comment décrirais-tu maman? ». « C’est quelqu’un de profondément gentil. » Puis se succède les mots de sensible, fort, honnête… « C’est déjà pas mal ». Quand on lui demande de partager un souvenir, là c’est tout autre chose. « euh… pff… comme ça là? ». Puis c’est autour de sa fille, Ava de 5 ans aussi de prendre le micro pour parler de mamie. « Elle a les cheveux courts, noirs. Elle porte toujours une chemise de nuit ». Pouvait-on s’attendre à mieux d’une fillette?

Pour l’instant, malgré que l’on devine un point de tension avec Brigitte, rien n’est dévoilé. Le terme évènement devient plus prégnant. « Comment t’a su l’évènement? ». Là, les voix s’entremêlent, se chevauchent et la lumière doucement se tamise. Nous sommes mis au coeur d’une zone de fragilité, de tension et de peur.

C’est au tour de Brigitte de prendre la parole. Un matin, elle s’est réveillée et elle entendait juste les bruits du quotidien en version métallique. Puis c’est devenu le silence total. « J’ai eu le sentiment d’être une écorchée vive ». Elle explique simplement sa souffrance, sa solitude et sa tristesse. « Le silence est froid. Le silence est mort. Le silence fait peur. » Les mots laissent place à des silences et des noirs sur le plateau.

La comédienne reprend son rôle d’intervieweuse et regarde droit devant le public, comme s’il était sa maman. L’émotion se sent dans la voix de l’artiste, ces larmes au yeux et ceux de sa mère que l’on ne peine pas à imaginer. On comprend sa souffrance. Une psy qui ne peut plus écouter. Presque une blague absurde de la vie. Comment communiquer sans parler? Est-ce impossible. Réinventer son monde n’est jamais facile. Les délicats jeux de lumière et de légers sons nous mettent dans une agitation troublante. La mise en scène de Tal Reuveny est subtile, délicate et sensible.

Ce documentaire et enquête surprend par la forme. Par la suite, on se laisse porter par chaque personne. Impossible de ne pas laisser son imaginaire faire un lien avec une histoire personnelle. Le son est parfois le lien vers le passé, le présent et le futur avec notre famille, nos proches, notre entourage… Une trace intime des souvenirs qui nous ont construit et nous aide à nous projeter. Le spectacle parle à tout le monde. Les chaleureux applaudissements de fin en est bien la preuve.

Un spectacle audacieux, courageux et passionnant qui parle d’un sujet intime qui fait consensus. Entendre le monde, c’est entendre la vie.

Où voir le spectacle?
A l’Atalante jusqu’au 20 janvier 2024

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