Les riches, on voit très bien ce que c’est. Par contre, leur dynamique de groupe, la construction de leurs relations et les jeux de pouvoirs, c’est autre chose. Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon ont décidé de mener une enquête sociologique dans le 16ème pour mieux comprendre ces personnes à part.
Quand on évoque le 16e arrondissement de Paris, on voit tout de suite la population qui y vit. Un simple passage en bas de leurs habitations nous donne d’autres indications. Aucun doute que nous ne sommes pas du même monde. Pourtant, cela ne veut pas dire qu’il ne pique pas la curiosité. Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, couple de sociologue au CNRS s’intéresse de près aux classes supérieures de la société et à la haute bourgeoisie. Un champ d’étude assez peu exploré. Une synthèse de leurs travaux a été publié sous le titre « Sociologie de la bourgeoisie » et a connu un petit succès d’édition.
Une fois retraité, ils publient des ouvrages plus engagés et plus critiques. La preuve avec la bande dessinée publiée en 2017 aux éditions La villes brûle sous le nom de « Panique dans le 16e ». Le duo s’intéresse au projet d’un centre d’hébergement d’urgence qui doit s’installer dans le très chic 16e. La réunion de présentation du 16 mars 2016 tourne à l’émeute. Impossible d’accepter que des pauvres manants bousculent la quiétude de leur réalité sociale. La pauvreté, c’est loin des yeux et proche du chéquier pour faire un don déductible des impôts.
Les compagnies du Sémaphore et du chameau décident de s’attaquer à l’adaptation de l’ouvrage au théâtre. Pas un théâtre classique standard, un théâtre-récit, un théâtre qui questionne, qui interpelle et qui bouscule. Les comédiens s’inscrivent dans le temps présent. Pour comprendre ce qui se passe, ils se mettent en action pour raconter les circonstances passées. Ainsi David Ruellan et Béatrice Vincent sont à tour rôle des habitants révoltés, les auteurs de l’étude, le maire d’arrondissement, les employés du chantier… Malgré un tout petit espace scénique, ils se donnent à 2 000% pour donner vie à ce récit de bulles.
Malheureusement, malgré l’enthousiasme sincère des comédiens, on adhère pas totalement. Quelques éléments scéniques semblent être mis là pour remplir et donner du dynamisme. Mais le charisme et l’encrage des artistes suffisaient amplement. On les sent mal à l’aise de se mettre à quatre pattes pour marcher sous une table. Pourtant il y a une richesse de petites choses comme les panneaux réversibles avec des titres comme « Non à une jungle de Calais au bois de Boulogne » ou le nom des interlocuteurs sur des post-it. Ils font même participer le public pour savoir s’ils connaissent les dates des révolutions et révoltes françaises entre 1789 et 2016.
Adapter une bd au théâtre est un exercice d’une grande complexité. Néanmoins, même si l’on est pas totalement convaincu surtout par cette fin assez abrupte sur le suivi du projet à ce jour, on a les grandes idées. On peut noter « Les bourgeois se mobilisent pour protéger leur entre-soi », la ségrégation urbaine, l’homogamie, la reproduction sociale, la valeur des distinctions sociales, les pratiques des loisirs… Ce qui est très bien illustré est le lien entre la notion de distance sociale et de distance spatiale. Elles sont entrelacées et prennent vraiment du sens. On apprécie l’exercice de style qui aurait pu être plus impactant à l’image des ouvrages. Néanmoins, on ne ressort pas totalement à l’identique que lorsque nous sommes rentrés.
Un spectacle très prometteur qui malheureusement n’est pas assez abouti. Mais plus d’un spectateur partira heureux de s’être enrichi.
Où voir le spectacle?
Théâtre de l’Essaïon (jusqu’au 23 novembre 2024)
6 rue Pierre au Lard
75004 Paris