Et si on vous disait que Rabelais était toujours un auteur moderne? Le croirez-vous? Figurez-vous que sa colère, son sens de l’absurde, la critique de l’hypocrisie sonnent toujours à nos oreilles.

En 1968, Jean-Louis Barrault est alors directeur de l’Odéon. La révolte dans Paris va jusque dans son théâtre qui devient un lieu occupé. Refusant de suivre les consignes du ministère de la culture pour faire partir les rebelles, on l’invite à quitter son poste. La colère au cœur de l’estomac, il décide de s’en servir pour créer dans un premier temps sa compagnie puis le spectacle « Rabelais ». Cet auteur évoque soit de vieux souvenirs de lectures scolaires ou soit l’évocation de Gargantua/Pantagruel. Alors que pourtant l’écriture de Rabelais se veut politique, provocatrice, impertinente.. Certains biais de l’époque existent étonnamment toujours à notre époque. Apprends t’on vraiment de l’Histoire? Qu’importe le chef de file, va rassembler toute l’oeuvre de l’auteur est un spectacle singulier, salutaire et irrévérencieux.

Boulimie, gloutonnerie, gourmandise…. du savoir, de la connaissance, de la compréhension, Jean-Louis Barrault se permet tout et au service de l’excellence. Il propose un spectacle remplie d’humanisme, de déchéance et de critique afin que le spectateur puisse se poser des questions sur son mode pensée, sa société, sa politique… Le tout en nous faisant voyager dans une joyeuse farce festive et chanté. D’ailleurs, les débuts de la pièce va se faire sur le ring du théâtre de l’Elysée-Montmartre sur une musique de Michel Polnareff, 40 comédiens, des danseuses du Crazy Horse et 4h00 de représentation. 50 ans plus tard, Hervé Van der Meulen décide de redonner vie à ce projet audacieux dans son théâtre, le Studio Théâtre d’Asnières, dans une version plus courte et plus adapté au théâtre moderne de 2h45. Là aussi, on se dit quelle audace. Une prise de risque mesurée au regard du parcours de l’homme. Lui aussi a du affronté bien des choses alors pourquoi ne relèverait-il pas le défi de redonner vie aux héros rabelaisiens, les facéties de Panurge, les plaisanteries scatologiques, les disputes avec les autorités civiles, royales et religieuses, les guerres picrocholines et autres?

Il est bien rare de nos jours de voir sur scène des pièces avec autant de prise de risque surtout à une époque où l’on glorifie la gaudriole et la légèreté absolue. Surtout que rien n’a été laissé au hasard même dans la version allégée de 2h00. Déjà avec l’excellent travail de Hervé Van der Meulen et à la scénographe Claire Belloc qui dans un petit espace ont donné vie à bien des péripéties. On voit un peu le matériel où sont déposés quelques costumes, des instruments de musique, des chaises, des tabourets et quelques structures roulantes qui deviennent bateaux, trônes, tables ou autre selon les besoins. Une façon habille d’optimiser les lieux qui demandent aux comédiens d’avoir une grande coordination. Car sur scène, ils ne sont pas 3/4 comme on peut le voir sur les grosses scènes. Ils ne sont pas moins de 19 comédiens, un peu comme à la Comédie Française. On ne va pas se priver de les citer : Étienne Bianco, Loïc Carcassès, Aksel Carrez, Ghislain Decléty, Inès Do Nascimento, Pierre-Michel Dudan, Valentin Fruitier, Constance Guiouillier, Théo Hurel, Pierre-Antoine Lenfant, Olivier Lugo, Juliette Malfray, Mathias Maréchal, Ulysse Mengue, Théo Navarro-Mussy, Fany Otalora, Pier-Niccolò Sassetti, Jérémy Torres et Agathe Vandame. Et ils incarnent de biens nombreux personnages alors ils n’ont pas le droit de perdre le Nord. A chaque minute qui passe, ils montrent leur fougue, leur passion, leur énergie… sans jamais montrer une trace de fatigue. Ils mettent chaque gramme de leur talent et leur investissement dans le jeu et dans la communication avec le public. Car en plus, tout ne se situe pas sur le plateau, ils investissent toute la salle. Un jeu tiré au cordeau qui ne peut tolérer aucune erreur.

Il faut pas oublier que l’on rit aussi bien du texte, des situations et des références modernes à Bruce Lee ou Dragon Ball. On assiste même à un combat avec un moine au ralenti. Cela ne vous évoque rien? La magie prend aussitôt que la représentation débute. L’excellent travail de costumes réalisé par Isabelle Pasquier et Alice Laforge y contribue largement. On admire ces centaines de costumes à l’aspect majoritairement streampunk où l’on peut voir le mélange des matières, des rendus, des textures… Sans omettre des détails comme les surchaussures, les chamarre, les chaînes décoratives, bagues… Un vrai régal pour les yeux. A cela se complète cet très ingénieux et astucieux maquillage d’Audrey Million avec ces marques noires autour des yeux qui donnent de l’intensité aux visages, aux regards. L’ensemble est véritable percutant visuellement et tout ça au service d’un récit. Que demandez de plus? Quand tout est fait et réalisé avec autant d’acuité, d’esprit, de sagacité, d’envie, de talent… on ne peut que dire, et vous quand allez-vous le découvrir ce spectacle?

Impossible de rester insensible face à cette originale prestation pleine de vivacité et de folie. On ne peut qu’applaudir et dire : Merci.

 Où voir le spectacle?
Théâtre 13

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