Et si je vous disais que vous pourriez réécrire l’Histoire dans votre cuisine, me croiriez-vous ? La compagnie Les Maladroits s’approprie ce lieu du quotidien pour raconter le passé d’un grand-père. Que diriez-vous de partager des moments de vie avec eux ?
Benjamin Ducasse, Éric de Sarria, Valentin Pasgrimaud et Arno Wögerbauer décident de transformer l’ordinaire en quelque chose d’extraordinaire. Pour trouver ce fil conducteur qui raconte une aventure, il suffit juste de prêter l’oreille aux histoires des proches. Arno Wögerbauer décide de partir sur les traces de son grand-père. C’est avec lui et son frère, dans le spectacle, interprété par Valentin Pasgrimaud que l’on mène l’enquête. Puis les mots de papier se transforment en une quête de vérité dans l’espace de la cuisine. Tout débute avec un petit dôme de sucre déposé sur la table centrale pour faire une plaisanterie. Le théâtre d’objet prend vie à ce moment là. Car une fois que vous acceptez que la tasse est la France et que les morceaux de sucre sont des personnages, alors on peut aller très loin dans un récit. La compagnie Les Maladroits ne laisse rien au hasard en mêlant avec beaucoup d’intelligence et d’humour la petite et la grande histoire.
Leur création de 2016 nous plonge au coeur de la guerre d’Espagne. Pour cela, nous faisons un bon dans le temps avec des petits morceaux de sucre qui espèrent un monde meilleur. Au début, ils incarnent juste Angel, Antonio et Dolores qui quittent leur village pour Barcelone. Nous sommes en Espagne en 1936 et la guerre civile pointe le bout de son nez. Cette fuite est le début d’un voyage incroyable rempli de douleur, de souffrance et de désespoir. La montée au pouvoir de Franco incite plus de 100 000 espagnols à fuir en France. Ce pays des droits de l’homme sait les accueillir en les cloitrant dans les camps. La première chose qu’elle installe sont des barbelées. L’état ne sait pas quoi faire de ces gens. Une situation qui rappelle sans surprise des choses que l’on a pu entendre dernièrement. Certains discours politiques changent-ils vraiment?
A travers le regard de cette troisième génération de migrants, des interrogations se posent. Ces personnes étaient prêtes à tout, jusqu’à leur vie pour un idéal, pour une société plus juste. En est t’on encore capable de nos jours? Beaucoup ne craignaient pas de s’engager en risquant les dénonciations par les « braves français ». Une utopie qui a permis à beaucoup de ces courageux de poser leurs bagages sur ce nouveau territoire qui pourtant ne leur ouvrait pas les bras. Ces turpitudes sont magnifiquement mises en scène dans un élan de folie et transmission.
Du petit tas de sucre sur la table, les deux comédiens vont prendre tout l’espace pour jouer non seulement avec des carrés de sucre mais avec tout ce que l’on trouver dans une cuisine. Ainsi pour montrer le travail à la chaîne, l’un prend du café, le moue avec une machine puis il vide la machine et ainsi de suite. Au dessus, un surveillant lui impose la place des objets et la position à avoir pour respecter les délais de production. Les petits détails ne manquent pas comme ce sucre glace qui symbolise la neige dans les Pyrénées ou des cuillères pleines de sucre qui représentent les avions condors envoyés par l’Allemagne nazie. Que d’ingéniosité et de bravoure dans ce spectacle qui sait nous toucher et nous faire réfléchir avec humour, discernement et folie douce. Au final, ce café est plus qu’un simple café. Il possède un goût particulier d’espoir et de colère.
Un spectacle qui saura vous toucher par son humanisme. Comme quoi, il n’est jamais trop utopiste de croire à des lendemains meilleurs et plus justes. Merci les adroits Maladroits.