Une fée tombe éperdument amoureuse d’Arlequin. Elle le fait enlever et le séquestre dans son palais. Il finira bien par l’aimer en retour. Mais l’Amour est une chose bien mystérieuse qui ne se commande pas.
Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux est un auteur qui inspire qu’importe les époques. La saison dernière la Comédie Française jouait « Le Petit-Maître corrigé », les Bouffes du Nord « Le triomphe de l’Amour » ou encore le TGP « La double inconstance ». Alors on ne s’étonne pas que la première mise en scène de Thomas Jolly dans le cadre de sa compagnie, Piccola Familia, soit une pièce en un acte de cet auteur de 1720. Il veut y apporter un nouveau regard. Alors exit les costumes d’époque, les grands décors, la musique classique. Thomas Jolly va faire souffler un vent de modernité sur cette innocente histoire d’amour. Si le doute pouvait se faire sentir avant d’entrer dans la salle, il s’envole aussitôt le spectacle commencé.
Sur scène, chaque comédien à sa hauteur de vue une ampoule. C’est la seule source de luminosité. Chacun lit un morceau de la pièce, une machine se met à fumée et la magie commence. Une fée tombe amoureuse d’Arlequin, rencontré dans un bois. Elle le fait enlever et le séquestre dans son château. Elle tente avec ces serviteurs de le divertir mais le jeune homme qui manque d’esprit s’ennuie. Avec le temps, il finira bien par tomber sous ces charmes. Mais voilà qu’au cours d’une ballade, il tombe amoureux d’une bergère, Silvia. L’attirance est réciproque. La fée l’apprend et ne compte pas rester sans rien faire. Sa vengeance sera terrible. Heureusement que Triblin, un humble serviteur de Merlin (le futur époux de la fée) va prendre part à l’histoire. Il veut que l’Amour triomphe. Est-ce vraiment possible ?
Voilà une bien jolie histoire que nous raconte Marivaux. Alors on pourrait s’attendre à voir de la verdure, des robes couleurs pastel et des petits papillons. Vous ne verrez rien de tout cela. Bienvenue dans l’univers loufoque et burlesque de Thomas Jolly qui propose des costumes de saltimbanques dans l’univers de Tim Burton. Les mondes du cirque et des prémices du cinéma ne sont pas très loin avec ces visages grimés de blanc, ce maquillage parfois outrancier, l’amplification de sons et le travail avec les jeux d’ombres. Il choisit même volontairement un espace scénique réduit pour juste mettre le strict nécessaire. Un rideau blanc tombe avec le titre qui permet de jouer de l’espace et des jeux de lumière. Besoin de créer un moment magique ? On met toute la lumière sur Arlequin et Sylvia qui s’embrassent fougueusement. On fait voler pleins de confettis sur une musique pleine de passion. Le gros plan émotion est réussi.
Les détails sont partout et toujours utilisés avec ingéniosité. Quelques guirlandes par-ci, quelques ampoules qui se balancent au bout de leur fil par-là et cela suffit pour nous plonger dans un univers singulièrement magique. Même les tenues sont pleines de références. Ainsi Arlequin, au début, se trouve tout de blanc vêtu. L’innocence même. Il pourrait même poser pour Pierre et Gilles. Puis au fur et à mesure, le maquillage blanc s’enlève. Ces vêtements changent, le chapeau tombe, les cheveux deviennent libres. Le jeune homme poli par l’amour comprend la force des mots. Il devient très vite maître du langage. Son statut de simplet vient de changer à celui de sorcier. La métamorphose est complète. Il peut se vêtir alors de noir et de rouge. Les Rita Mitsouko vous l’avait bien dit : « Les histoires d’amour finissent mal en général ».
Thomas Jolly propose une sublime scénographie pleine de poésie et de fureur. Une frénésie joyeuse au service d’un texte intemporel.