Quand on vous dit Poil de carotte, votre imaginaire se met en marche. Vous pensez à un petit garçon roux et à la violence qu’il subit. Est-ce qu’en le lisant deux fois, nous aurions une autre histoire?

En effet, « Poil de carotte » de Jules Renard n’est pas une adaptation courante. Passer du roman au théâtre est toujours un exercice difficile. Alors quand on rentre dans la salle et que l’on découvre un plateau avec deux chaises, on s’interroge. Mais on sait que tout est possible dans le monde du théâtre contemporain. Il y a un indice dans le titre car « Poil de carotte, Poil de carotte ». Où est-ce inscrit que c’était une adaptation? Nulle part. Un court instant, on aurait pu se faire avoir quand Solal Forte lit un extrait d’une bibliographie de l’auteur.

Puis très vite, tout prend un autre chemin sur un registre tout autre. Très vite, on passe dans un face à face entre deux vieux potes. Un est très égocentrique et vantard et l’autre, est un artiste plus sensible, qui tente de s’en sortir en faisant du théâtre. L’échange assez informel, au début, revêt progressivement un aspect malaisant. L’un devient médisant, cruel, blessant dans une attitude décontractée. Il poursuit sa diatribe dans la comparaison, lui représente la réussite contrairement à son interlocuteur, l’échec. L’embarras auprès des spectateurs grandit. Le voilà placé comme simple observateur passif de harcèlement et de violence. L’envie de se lever pour mettre fin à cette situation ou partir s’accroit. N’oublions pas, c’est une démarche artistique. Néanmoins, cette période semblait très longue. Cela souligne la pertinence de la représentation d’une cruauté ordinaire. Par chance, la suite prend un autre virage scénaristique. Le comédien principal parle de sa place d’interprète maltraité. On ne lui donne rien à dire, on lui fait faire des choses qui le dévalue… Le mal-être reste au coeur des mots.

Et enfin, nouvelle pirouette avec les deux comédiens qui discutent du projet final du metteur en scène. Pas trop le temps de palabrer car il faut mettre la suite en oeuvre avec des marionnettes précaires. Un choix fait consciemment pour rajouter de l’absurde et de l’improbable. Poil de carotte, l’objet, se tartine de sang avant de demander au père Noël de le tuer. Les deux saltimbanques manipulent ces personnages devant tout le monde. Difficile de faire abstraction de leur présence. Le cycle des échanges se conclut ainsi devant un public captif, captivé, dérouté et enchanté. On rit aussi beaucoup malgré tout. Une chose au combien nécessaire face à la rudesse de l’exclusion. Flavien Bellec, Étienne Blanc et Solal Forte ont su saisir tout le monde avec une création au combien loufoque, bizarre et très audacieuse. On n’en ressort vraiment pas indemne.

Une pièce singulière perturbante et amusante qui fait que l’on ne verra plus jamais « Poil de carotte » du même oeil.

Où voir le spectacle? 
Le Monfort jusqu’au 22 avril 2023

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