Une figure inattendue apparaît sur scène et interroge aussitôt nos repères culturels, comme si un décalage volontaire venait ouvrir la porte à une autre lecture du réel. On découvre alors un jeune homme déterminé à réconcilier deux univers que tout semble opposer et qui, pourtant, s’illuminent mutuellement. Cette entrée en matière suscite une curiosité immédiate, prête à embrasser un voyage où la poésie rencontre la rythmique urbaine.

Barthélemy Heran prend possession du plateau en créant d’emblée une tension stimulante entre son allure bourgeoise, sa diction soignée et son ambition de parler de rap avec une assurance désarmante. « Ce bruit pour analphabète. » Cette posture inattendue soulève des questions essentielles sur la légitimité artistique, l’appartenance sociale, l’accès à une culture trop souvent enfermée dans des clichés. Le comédien les retourne subtilement, transformant son propre écart en moteur dramaturgique. Petit à petit, son rapport à la scène se densifie, révélant une maîtrise pleine d’ironie et de fraîcheur qui rapproche chaque spectateur de son regard décalé sur le monde contemporain. La diversité du public devient alors une force narrative, car l’écriture joue précisément sur la capacité d’un même discours à toucher des générations différentes. Un équilibre délicat se tisse entre pédagogie et humour, rendant le propos accessible sans dilution. Ce cheminement ouvre un espace réflexif sur les frontières culturelles et la place de la transmission. Le comédien avance avec fluidité, désamorçant les préjugés par la démonstration même de son intelligence scénique. L’ensemble dessine un portrait vibrant d’un artiste qui refuse toute assignation. « J’avais deux passions dans ma vie, le rap et Victor Hugo. »

La création déploie ensuite un jeu d’associations entre la grandeur littéraire et les sonorités actuelles, révélant à quel point Victor Hugo résonne encore dans les codes narratifs du rap. « Les révoltes naissent de l’injustice. » Le spectacle montre comment la geste romantique, faite d’excès, de combats et d’énergie révolutionnaire, partage avec la musique urbaine un même goût pour l’amplification des émotions. Les digressions sur les artistes contemporains comme Nekfeu, PNL, Soprano…, les flows, les structures rythmiques interrogent la possibilité de transmettre une passion à travers un personnage d’élève fantaisiste, dont la nonchalance devient un médium comique redoutable. Cette exploration suscite une réflexion douce sur la manière dont la curiosité peut surgir hors des cadres scolaires habituels. Le mélange des registres produit une effervescence qui éclaire la vie de l’Homme-siècle d’un jour nouveau, comme si Hugo lui-même glissait un sourire complice dans chaque transition. Le texte progresse avec agilité, reliant l’histoire littéraire à l’imaginaire collectif moderne sans sacrifier la finesse. La circulation permanente entre sérieux et décontraction donne un rythme addictif. Chaque référence, chaque pont tracé entre les époques renforce la singularité du dispositif. Le résultat dévoile une audace pleinement assumée.

Le public devient un partenaire essentiel, invité à prendre part à une série de jeux scéniques qui renforcent l’euphorie du récit. La reconstitution de la bataille d’Hernani, dans un engagement joyeux, transforme la salle en foule insurgée, prête à soutenir l’émergence d’un théâtre nouveau. « A la guillotine. » La sensibilité qui traverse les instants consacrés à la douleur personnelle d’Hugo dévoile un rapport intime inattendu entre narration et performance. Cette adresse collective amplifie la communion entre l’artiste et l’auditoire, générant un sentiment d’appartenance éphémère. Les éléments scéniques, volontairement réduits, servent d’écrin aux modulations physiques et vocales de l’artiste. La lumière accompagne chaque évolution, sculptant les émotions avec une chaleur enveloppante ou la mise en dynamisme. L’ensemble forme un rituel théâtral qui mêle humour, érudition, énergie et célébration de la parole ainsi que de la musique. Cette incarnation fougueuse démontre qu’un micro et une chaise suffisent à édifier un univers infini. Une élégance ludique traverse le tout pour offrir un hommage vibrant à l’imaginaire hugolien.

On ressort réjoui par cette création qui réussit à unir l’audace contemporaine et la puissance d’un géant littéraire. On savoure l’intelligence vive d’un spectacle capable d’embraser un public de tous âges et de les satisfaire. On emporte la conviction que certaines rencontres artistiques ouvrent des horizons insoupçonnés.

Où voir le spectacle? 
Au théâtre de l’Oeuvre jusqu’au 31 mars

 

 

Tags: