
Sophie Engel interroge ce qu’on croit devoir être pour plaire, appartenir ou faire bien. Son récit éclaire cette ligne fragile entre fidélité à soi et fidélité aux autres. Tout prend alors la forme d’une quête drôle et tendre vers l’acceptation.
« Trancher » repose sur une narration frontale, drôle et acérée, où l’autodérision devient une arme de résistance. Sophie Engel expose ses failles, ses désirs, ses colères et ses espoirs avec sincérité. Le lit, élément central du décor, se métamorphose sans cesse en lieu d’aventure sensuelle, de chagrin sincères, de doutes profonds et de discussions intérieures. Son humour mordant, porté par un rythme parfaitement maîtrisé, permet d’aborder des questions identitaires complexes sans lourdeur. Elle raconte le poids de la tradition, la pression communautaire, la quête de l’homme idéal et ce fameux sentiment d’assignation. Comme si être juive impliquait obligatoirement d’aimer et d’épouser un juif. Ce fil narratif, traité avec une lucidité, éclaire la difficulté de se construire quand chaque pas semble observé et jugé. La comédienne transforme alors ses hésitations en force, dévoilant une parole authentique qui touche autant qu’elle fait rire. « Il faut lui trancher la tête. »

La dynamique scénique repose sur une énergie flamboyante, presque rebelle, qui n’a besoin d’aucun artifice pour capter l’attention. Quelques accessoires suffisent à créer un univers complet, où chaque geste raconte davantage que mille explications. Elle ose se montrer vulnérable, apparaissant en sous-vêtements, revendiquant ainsi un rapport libre et assumé au corps, qui devient un vecteur d’expression et non un objet de regard. Les ruptures de ton, habilement orchestrées, soulignent la confusion intérieure d’une femme qui croyait connaître la voie à suivre. Le récit s’ouvre progressivement, révélant que l’amour véritable ne se choisit pas selon des critères religieux mais selon une vérité intime difficile à admettre. L’humour ne masque jamais les blessures. C’est précisément ce mélange de légèreté et de profondeur qui rend l’ensemble si riche. Sa parole brille par son franc-parler et sa finesse, créant un lien direct, presque complice, avec le public.
L’audace de ce solo tient à sa capacité à transformer un parcours amoureux en réflexion universelle. La pression des normes, le poids des assignations identitaires, la peur de trahir les siens, tout cela trouve une résonance forte dans un monde où les appartenances se figent trop vite. La comédienne ne juge rien, elle expose, questionne, trébuche puis raconte comment elle a fini par s’autoriser le bonheur avec un homme non juif. Les rites, les histoires, font parties d’elle. « Je connais ces choses, elles m’appartiennent ». Donc, elle fait devant sa famille son coming-out goy. Cette démarche intime devient une émancipation joyeuse, une manière de dire qu’accueillir l’autre n’est pas renoncer à soi. La mise en scène, de Sophie Engel et Héléna Sadowy, soutient ce propos avec élégance, jouant sur la proximité et le mouvement sans jamais surcharger. On rit, on sourit, on réfléchit. On perçoit la puissance d’un témoignage qui refuse la résignation. Trancher devient alors un geste théâtral lumineux, une déclaration d’indépendance et d’amour authentique.
Un spectacle drôle, libre et audacieux qui assume pleinement sa singularité. Une comédienne inspirante, capable de mêler vulnérabilité et irrévérence avec brio. Un moment de théâtre sincère, intime et profondément libérateur.
Où voir le spectacle?
Au théâtre de la Flèche jusqu’au samedi 13 décembre 2025