Il faut du panache, une bonne dose d’audace et une finesse d’intelligence théâtrale pour s’attaquer à Tout est bien qui finit bien, comédie aussi rare qu’inclassable dans l’œuvre de Shakespeare. Souvent jugée étrange, elle retrouve ici, toute sa complexité, son humour mordant et une modernité saisissante. Ce spectacle est un feu d’artifice d’inventivité où un texte trop longtemps oublié se mue en festin scénique.

Frédéric Jessua prend le parti fort et courageux de suivre Shakespeare à la lettre, tout en en révélant la saveur burlesque et la finesse politique. Il ne s’agit pas d’une simple lecture comique, mais d’un regard acéré sur les rapports de pouvoir, le déterminisme social et surtout la résilience féminine. Hélène, héroïne tenace et lumineuse, traverse champs de bataille, palais et intrigues pour se frayer un chemin vers l’émancipation. La pièce devient alors le manifeste d’une femme qui refuse d’être reléguée à l’ombre des hommes. Et si l’on s’étonne des rebondissements inattendus, qui n’ont rien à envier à ceux de Marivaux.

La France de la Renaissance devient le théâtre d’un jeu de miroirs jubilatoire, stylisé avec brio. Frédéric Jessua et Vincent Thépaut signent une traduction vive, ciselée, qui saisit l’énergie des tréteaux et l’esprit de la farce, sans jamais trahir l’intelligence émotionnelle du texte shakespearien. Rare dans une comédie élisabéthaine, la profondeur psychologique y est pleinement explorée, sans pathos, avec une justesse qui rend chaque personnage attachant, fort et délicieusement déroutant.

La scène est un grand espace vide, transformé par une machinerie joyeusement artisanale, pleine d’esprit avec une plateforme tournante, des éléments mobiles, des  accessoires symboliques… On assiste à un théâtre de l’imaginaire, où les changements de lieux sont rapides et ludiques et où le public est invité à rêver avec les acteurs. Les costumes, mêlant les époques, les genres et les matières, créent une esthétique baroque et fantasque, entre commedia dell’arte et cabaret, traduisant l’intrépidité et l’inventivité de l’ensemble.

Céline Laugier campe une Hélène vibrante de volonté et de finesse, stratège amoureuse d’une modernité éclatante. Félicité Chaton incarne une Comtesse de Roussillon bouleversante, d’une humanité rare. Enzo Houzet, en Bertrand, déploie une palette subtile entre arrogance juvénile et vulnérabilité émouvante. Rony Wolf est irrésistible dans le rôle de Paroles, valet menteur et trouillard, digne héritier des grandes figures du théâtre comique. Quant à Raouf Raïs, Charles Van De Vyver, Vincent Thépaut et Lena Tournier-Bernard composent une galerie de personnages avec une virtuosité et une malice réjouissantes.

Ce Tout est bien… interroge avec acuité ce que signifie réellement « bien finir ». L’amour triomphe-t-il ou la société capitule-t-elle ? Sous ses dehors légers, le spectacle ausculte les faux-semblants d’un happy end imposé, révélant en creux la violence des structures patriarcales. Impossible de ne pas y voir un écho troublant à notre époque. Et pourtant, la légèreté domine. Le rire devient un acte de résistance, l’ironie une arme affûtée, et la farce, un cri d’émancipation. Le public rit, vibre, applaudit : il comprend, sans qu’on ait besoin de le lui expliquer.

Avec ce spectacle, Frédéric Jessua réussit un tour de force. Il redonne ses lettres de noblesse à une comédie mésestimée, tout en offrant une lecture politique, féministe et follement divertissante. Rarement Shakespeare aura été aussi drôle, aussi intelligent, aussi libre. Une célébration de théâtre vivant, de jeu pur, d’esprit et de cœur.

Avec cette mise en scène, Frédéric Jessua accomplit un véritable tour de force. Il réhabilite une pièce méconnue avec audace et brio, en offrant un théâtre libre, politique, poétique et follement drôle. Rarement Shakespeare aura été aussi intelligent, aussi drôle, aussi actuel. Une ode vibrante au théâtre vivant, au plaisir du jeu, à l’intelligence du texte et à la joie d’être ensemble.

Où voir le spectacle? 
Au théâtre 13 jusqu’au 23 mai 2025

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