
Le théâtre s’empare parfois de sujets brûlants avec une force telle qu’il devient impossible de rester spectateur passif. Ici, la scène se fait lieu d’urgence, de lutte et de transmission. On y suit une héroïne du quotidien, portée par un souffle punk qui galvanise autant qu’il émeut.
Le récit se déploie comme une plongée intime dans une journée ordinaire d’une gynécologue extraordinairement déterminée, figure engagée dont l’humanité donne le ton. Ses convictions, nourries par l’histoire des luttes féministes, du MLAC aux Riot Grrrls en passant par Women on Waves, façonnent une parole libre, frontale et d’une clarté radicale. Les tensions qui traversent l’hôpital, les baisses de moyens, les combats silencieux et les menaces politiques composent un paysage où le droit à disposer de son corps demeure un chantier permanent et fragile. La comédienne Juliette Fribourg, électrisante, déploie une grande palette émotionnelle mêlant assurance, fragilité, colère contenue et humour grinçant. Le personnage devient alors la voix de toutes celles qui affrontent des obstacles pour aider, pour soigner, pour soutenir la liberté des femmes. On assiste à un véritable manifeste vivant, vibrant et profondément incarné.
La mise en scène de Mathilde Wind, est d’une ingéniosité redoutable. Elle transforme un simple bureau d’hôpital en un terrain d’enquête, de confidences et de rock incandescent. Les marquages au sol dessinent les espaces, les transitions, les gestes médicaux convoqués par l’imagination du public. La guitare électrique accompagne les pulsations du récit, la bande-son d’Arthur Chrisp mêle bruits hospitaliers, respiration musicale et archives féministes, créant une texture sonore immersive. Le plateau, entre documentaire et performance, joue avec la frontalité. La gynécologue s’adresse directement à nous, brouillant les frontières entre fiction et témoignage. Les sons d’archives viennent ancrer la narration dans l’histoire politique des droits des femmes, rappelant combien ces conquêtes sont récentes, fragiles, constamment menacées. Une énergie farouche, brûlante, traverse le spectacle, offrant un théâtre de conviction qui ne craint pas de secouer.

Cette navigation entre pédagogie, humour et émotion construit un solo fulgurant qui ne se contente pas de dénoncer. Il raconte, il explique, il immerge et il répare. Le spectacle parvient à condenser rigueur documentaire et souffle artistique, rappelant la dimension profondément humaine de l’IVG. Ce qui pourrait être froid devient chaleureux, ce qui pourrait être didactique devient puissant et ce qui pourrait être grave devient lumineux. Une vitalité rare émane de cette performance qui célèbre les petites victoires individuelles face aux grands renoncements politiques. Un droit n’est jamais acquis. On peut l’inscrire dans la Constitution, fermer les centres d’avortement ainsi qu’autoriser les médecins à refuser à le pratiquer et laisser les fausses infos se répandre. On sort du théâtre avec une gratitude immense pour celles et ceux qui continuent de se battre pour une lutte qui ne terminera jamais. C’est un geste artistique nécessaire, engagé et audacieux.
Un spectacle intense qui frappe par sa sincérité au combien nécessaire dans cette période sombre. Une héroïne rock qui transforme l’hôpital en scène de résistance. Une ode vibrante au droit de choisir et à celles qui le défendent avec témérité.
Où voir le spectacle?
Au théâtre La Reine Blanche jusqu’au 18 décembre 2025