Il existe des spectacles capables de réveiller une joie brute sans prévenir. Celui-ci déploie une mécanique comique si précise qu’on rit avant même d’y penser. Rien n’y est attendu, tout y surprend et l’on sent déjà poindre l’envie de le recommander.

Le rire surgit d’une matière théâtrale d’une inventivité étonnante, où la sitcom familiale des années 90 devient un terrain de jeu furieusement maîtrisé. André Antebi, Grégoire Baujat, Maëlia Gentil, Maëva Husband et Benoît Félix-Lombard passent d’un personnage à l’autre avec une aisance désarmante, composant un univers délirant où le grotesque flirt avec le réel. Le rythme est cinglant, les ruptures sont nettes, les dérapages hilarants. Les faux rires enregistrés renforcent l’ironie d’un monde qui s’effrite sous le vernis de la fausse joie domestique. L’écriture de Romain Duquesne, affûtée comme une lame comique, manie l’absurde, l’humour noir, le non-sens et la satire familiale avec une précision redoutable. Sous la tempête burlesque, se glissent aussi des pointes engagées sur le patriarcat, la violence feutrée dans les foyers et les illusions imposées. On rit de bon coeur, on grimace et on savoure.

L’espace scénique, conçu comme une cocotte-minute, bascule progressivement vers l’hystérie. Le salon devient un champ de bataille, les objets se rebellent, les gestes dérapent, tout file vers un chaos parfaitement coordonné. La création lumière et sonore de François Duguest amplifie les tensions, jouant de contrastes et d’éclats pour créer un climat instable, presque irréel. Les corps sont projetés dans des situations de plus en plus incontrôlables où la moindre étincelle devient un embrasement. La satire touche juste. Les rituels familiaux s’effondrent, les conventions explosent, les mythes fondateurs prennent un coup fatal. Père Noël, Jésus ou encore le diable deviennent les jouets d’un humour ravageur qui ne s’interdit rien. On se laisse happer par cette folie orchestrée avec minutie.

Derrière la frénésie burlesque se dessine une réflexion sensible sur la vacuité de certaines injonctions sociales. Les Johnson répètent un rituel dont ils connaissent l’issue, s’épuisent à maintenir une façade, s’acharnent à jouer un bonheur en carton-pâte. Jérémie veut absolument ouvrir son cadeau pour jouer avec le Super-Raptor. Leur maladresse touche, leur agitation résonne, leur débâcle devient miroir. Le rire naît de l’identification autant que de la surprise. L’ensemble compose une fable grinçante, excessive et profondément humaine, où l’absurde révèle ce que le quotidien préfère cacher et qui est tabou.

Un spectacle irrésistiblement drôle qui ravive l’énergie du théâtre quand il ose tout. Une troupe brillante qui transforme chaque scène en feu d’artifice comique. Une soirée à vivre comme un antidote au sérieux du monde.

Où voir le spectacle? 
Au théâtre de Belleville jusqu’au 27 décembre 2025

Tags: