Emmanuel Demarcy-Mota revisite Le Songe d’une nuit d’été en mettant en lumière les tensions souterraines qui animent les désirs amoureux et les illusions humaines. Entre rêve et réalité, il plonge le spectateur dans un univers onirique où la féerie se teinte d’inquiétude et de mystère. Une relecture personnelle qui explore la mécanique du pouvoir et de l’illusion théâtrale.

Reprendre Le Songe d’une nuit d’été, c’est plonger dans un univers où la frontière entre rêve et réalité s’efface, où la logique du jour cède la place aux illusions de la nuit. Avec sa nouvelle mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota choisit une approche plus sombre et plus inquiète de la comédie shakespearienne. Loin des représentations légères, lumineuse, fleuries et burlesques souvent associées à cette pièce, il nous entraîne dans une forêt envoûtante et cruelle. Chaque illusion amoureuse semble cacher une menace latente. Un parti pris qui interroge la nature même du désir, du pouvoir et du théâtre propre à l’univers du metteur en scène.

L’une des grandes forces de cette mise en scène réside dans la nouvelle traduction de François Regnault. Exit le classicisme figé, place à une langue vivante, contemporaine, où se glissent des expressions familières comme « mon pote » ou « piger ». Même si certains puristes pourraient être déroutés par ce choix. Cela offre une fluidité et une clarté qui rendent la pièce plus lisible pour un public d’aujourd’hui. Cette réécriture se double d’un travail scénique grandiose. La forêt, lieu central de l’intrigue, n’est plus un simple décor enchanteur avec quelques arbres en carton-pâte. La gigantesque scène permet de créer des espaces changeant au gré des illusions et des tensions. Grâce à une scénographie en perpétuel mouvement, imaginée par Natacha le Guen de Kerneizon et magnifiée par les lumières de Christophe Lemaire, le spectateur est constamment plongé dans un état d’émerveillement technique. 

Côté distribution, la troupe du théâtre de la Ville livre une belle performance. Élodie Bouchez incarne une Héléna touchante, oscillant entre fragilité et détermination. Face à elle, la rayonnante et éblouissante Sabrina OuazaniHermia et le froid et cruel Jauris Casanova/Lysandre donnent corps à un amour contrarié. Sans omettre la témérité et l’enthousiasme de Jackee Toto/Démétrius qui  lutte contre ses propres contradictions avec une force incroyable. A leur dureté, se trouve la rébellion aux normes des maîtres des esprits avec Philippe Demarle/Obéron et Valérie Dashwood/Titania. Le couple royal, Thésée et Hippolyta, subit lui aussi une transformation audacieuse. Thésée devient une reine et noire, admirablement interprétée par Marie-France Alvarez, et son époux, Hippolyte, perd de son autorité pour devenir un personnage secondaire, presque effacé. Un choix qui met en avant la question du pouvoir et de son exercice, un fil rouge qui traverse toute la mise en scène.

Ce Songe n’est pas une parenthèse enchantée car le beau merveilleux est totalement absent. Il résonne comme une fable contemporaine sur les rapports de domination, la confusion des sentiments et les illusions du pouvoir. Le conflit entre Obéron et Titania, par exemple, ne se limite pas à une querelle amoureuse. Il perturbe l’ordre du monde, déséquilibre les saisons, menace l’harmonie du cosmos. La forêt n’est plus seulement le lieu des amours contrariées, elle devient un espace de métamorphose et de désordre, où le rire côtoie l’angoisse, où chaque illusion peut se muer en cauchemar. Bottom, transformé en âne, n’a plus rien de joyeux. Il devient une créature grotesque, effrayante et étrange. Bien loin du bon vivant pataud que l’on imagine souvent. Ce choix pourra surprendre, voire diviser, mais il s’inscrit dans une lecture qui préfère l’ombre à la lumière, le trouble à l’évidence. Le choix des couleurs sombres et des projections de nuages, contribue à cette noirceur qui n’a aucun échappatoire. L’espoir est interdit.

Emmanuel Demarcy-Mota abandonne la féerie traditionnelle au profit d’une atmosphère plus ambiguë où il révèle toute la complexité du texte shakespearien. Entre peur et inquiétude, entre rires et frissons, cette relecture nous rappelle que le théâtre est avant tout un lieu d’illusion et de métamorphose, où chaque spectateur est libre de rêver, d’interpréter, d’être triste et de se perdre.

Où voir le spectacle? 
Au théâtre de la Ville

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