Dans une société obsédée par les normes de beauté et la performance, Si Vénus avait su célèbre les corps vulnérables et abîmés avec une tendresse lumineuse. Ce cabaret interactif, conçu pour aller à la rencontre de publics divers, allie humour, émotion et humanité pour rendre hommage à celles et ceux qui soignent et réparent et à tous les corps qui échappent aux diktats sociaux.

Margaux Eskenazi et Sigrid Carré-Lecoindre offrent une œuvre d’une générosité rare, un cabaret interactif qui éclaire nos failles et nos cicatrices avec une douceur enveloppante. À travers le regard d’Eulalie, socio-esthéticienne en fin de carrière, le spectacle met en lumière ces corps souvent rejetés par la société car vieillis, marqués par la maladie ou la souffrance et donc perçus comme « hors normes ». Une galerie de personnages singuliers se dessine : des hommes et des femmes à l’histoire intime, dont les parcours bouleversants résonnent profondément. Ils pourraient être nos proches, nos voisins ou nous-mêmes. Martin Jaspar et Dana Fiaque incarnent ces personnages avec une justesse et une sensibilité remarquables. Leur délicatesse et leur engagement sur scène méritent une mention spéciale.

Les personnages sont autant de facettes d’une humanité mise à l’épreuve avec une femme réapprend à vivre après une mastectomie liée à un cancer du sein ou un vieil homme rescapé des années sida célèbre la force libératrice du grimage. Une socio-esthéticienne en réanimation redonne un peu d’humanité et de chaleur à des êtres souvent malmenés par les soins médicaux assez durs, l’isolement ou la solitude. Chaque portrait, dessiné avec subtilité et profondeur, compose un manifeste vibrant aux corps blessés, marginalisés qui méritent la même attention, le même respect que tous les autres.

Le texte, d’une finesse étonnante, évite soigneusement l’écueil du pathos. Margaux Eskenazi et Sigrid Carré-Lecoindre ont choisi une approche qui mêle humour, poésie et tendresse. Cette légèreté assumée offre un contraste salutaire avec les thématiques graves abordées. La mise en scène, inventive et élégante, est servie par des choix simples mais pertinents : un rideau bleu qui devient tour à tour cocon et espace scénique, des changements de costumes à vue signés Sarah Lazaro et des touches de burlesque qui ponctuent le récit. Ces éléments viennent renforcer l’aspect ludique, sans jamais atténuer sa profondeur.

Les interactions avec le public, comme ce moment où les spectateurs sont invités à se masser les mains, ajoutent une dimension humaine et collective à l’expérience où faire tourner une roue pour trouver le prochain tableau. Chacun y trouve sa place, en complicité avec les comédiens.

Au-delà de l’hommage rendu aux socio-esthéticiennes et à leur métier trop peu reconnu, Si Vénus avait su pose un regard acéré sur notre société. Une société où la marginalisation des corps vieillissants, abîmés ou malades va de pair avec une obsession pour la productivité et l’apparence. Le spectacle rappelle que la patience, la douceur et l’écoute ne sont pas seulement des vertus individuelles. Ce sont aussi des valeurs politiques, des actes de résistance face à un monde souvent indifférent à la fragilité. Margaux Eskenazi et Sigrid Carré-Lecoindre montrent aussi les combats que mènent ces femmes de l’ombre, dont le travail, bien que crucial, demeure trop souvent relégué en arrière-plan faute de rentabilité économique.

Si Vénus avait su est une œuvre lumineuse et salutaire, qui allie gravité et légèreté avec une rare élégance. Drôle, émouvant et profondément humain, ce spectacle est une ode à la fragilité et au soin, mais surtout à la dignité que chaque être humain mérite, quelle que soit son apparence, son âge, son état mental, physique…. Margaux Eskenazi et Sigrid Carré-Lecoindre, avec peu de moyens mais une infinie générosité, signent un spectacle rempli de poésie, d’espoir et de courage.

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