Il arrive que certains récits captivent par leur intensité brute, sans artifice ni détour. Une femme, une voix, un geste, et soudain le théâtre devient l’écho d’une humanité blessée. Ce qu’on voit sur scène, c’est une âme à nu, qui vacille entre fragilité, fureur et désir de liberté.

Dans cette œuvre à la fois dense et épurée, on suit le monologue d’une femme solitaire, fatiguée des hommes, du bruit et des désillusions. Le texte, d’une précision chirurgicale, dessine le portrait d’une héroïne en marge, lucide et désespérée, dont la colère se mêle à la nostalgie. Anne Charrier, saisissante, incarne cette errance avec une intensité rare. « J’ai 50 ans. Je m’en fou. J’ai de beaux restes. » Chaque regard, chaque silence, chaque mot semble peser plus lourd que le précédent. La tension s’installe lentement, portée par la justesse du jeu et une écriture d’une grande finesse, adapté du roman éponyme de Nicolas Mathieu. Peu à peu, on comprend que la légèreté apparente masque un vertige intérieur. Le ton se fait plus sombre, la voix se brise parfois et pourtant jamais elle ne cède à la facilité du pathos. Ce qu’elle raconte n’est pas un drame ordinaire. C’est la lente descente d’une femme qui se raccroche à sa dignité comme à une arme invisible et physique, aussi.

La mise en scène, d’une sobriété millimétrée, de Romane Bohringer, se révèle d’une efficacité remarquable. Sur le plateau, chaque élément est emballé et ficelé. Tout compte. Ce flingue posé là, visible et caché à la fois, est là comme une menace ou une promesse. Tout y est mesuré, pensé pour servir la parole sans la trahir. La tension dramatique, toujours sous contrôle, trouve son apogée dans les moments où le silence parle à la place des mots et dans les moments de musique où l’on chante en toute discrétion. La comédienne occupe la scène avec une autorité magnétique, imposant une présence qui fascine. On retient son souffle, suspendu à cette voix qui nous entraîne vers l’inévitable. « Je me suis préparée à la violence. » Rose Royal, s’il évoque la solitude et la violence, réussit paradoxalement à célébrer la force vitale d’une femme qui refuse de disparaître. On y sent une colère contenue, un humour noir, une tendresse cachée sous la rugosité qui l’a rend très attachante. Rien n’est gratuit, tout est précis, nécessaire, incarné. La justesse du jeu et la cohérence esthétique créent une expérience théâtrale où tout prend sens. On sort secoué, touché, admiratif devant tant de maîtrise et cette fin percutante. Ce n’est pas une histoire heureuse, certes, mais c’est un beau moment de théâtre bouleversant et profondément humain.

Un magnifique monologue porté par une comédienne talentueuse, avec une mise en scène sobre et puissante qui sublime l’émotion sans la forcer. Un spectacle qui laisse, longtemps après, la trace d’un choc silencieux et trop ordinaire.

Où voir le spectacle? 
Au studio des Champs-Elysées jusqu’au 28 décembre 2025

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