Les interprètes évoluent dans un espace volontairement dépouillé, fondé sur une succession de transitions dansées qui rappellent certaines créations du cirque contemporain. Leur engagement physique crée par moments une intensité indéniable, notamment grâce au choix musical cohérent qui accompagne chaque entrée en scène. Les costumes sobres, qui laissent souvent voir la musculature impeccable des circassiens masculins, ajoutent une dimension esthétique presque sculpturale. Pourtant, l’absence totale d’un véritable numéro collectif finit par créer un rythme fragmenté, empêchant l’ensemble de trouver une dynamique globale. Les solos se succèdent les uns après les autres, se ressemblent parfois et peinent à générer l’émotion promise. On observe une maîtrise corporelle évidente, une discipline solide, une rigueur certaine, sans que l’étincelle de surprise survienne réellement. Les numéros féminins, discrets, manquent d’impact et de technique. L’un d’eux se voit fragilisé par une série d’erreurs qui ne permettent aucune reprise. L’énergie reste là, honnête, volontaire, sans parvenir à masquer la sensation d’une pièce encore en chantier. L’impression dominante reste celle d’une démonstration plutôt que d’un élan narratif ou sensible.

Au milieu de cette alternance de performances, un numéro de jonglage s’impose comme un moment particulièrement réussi. Trois balles suffisent pour révéler une grande virtuosité, construite sur des variations fines, chorégraphiques et sur un jeu de rythme captivant. L’artiste crée un dialogue subtil avec l’espace, donnant la sensation que chaque rebond ouvre une brèche vers une forme de poésie concrète. Cette sobriété maîtrisée fait contraste avec d’autres sections plus démonstratives. Le spectacle retrouve alors une densité expressive qui laisse apercevoir ce que pourrait devenir cette troupe une fois affranchie de certaines conventions esthétiques. Ce moment suspendu élève l’ensemble et montre que derrière la jeunesse des interprètes se cache un véritable potentiel artistique. L’épure devient force, la précision devient langage, la simplicité devient beauté.
La création lumineuse signée Claudia Hoarau constitue sans doute l’élément le plus inspirant du spectacle. Par un jeu de clair-obscur d’une grande délicatesse, elle sculpte les gestes, projette les silhouettes, révèle les tensions, transforme parfois un simple déplacement en apparition quasi mythologique. Cette maîtrise subtile crée une dramaturgie parallèle, donnant profondeur et relief à des numéros qui, sans cela, glisseraient vers une neutralité trop lisse. Les corps deviennent paysages, cambrures, éclats… Certains tableaux gagnent en densité grâce à cet écrin lumineux qui capte l’attention et oriente le regard comme un pinceau mouvant. On comprend alors ce que le spectacle cherche à toucher avec fragilité, avec un désir de transcendance et une volonté de résister par la beauté. La lumière agit comme un souffle, rappelant l’origine en exil de ces artistes dont la trajectoire personnelle confère une autre lecture à la scène. Elle porte ce que les numéros seuls ne parviennent pas toujours à transmettre, la vibration humaine.
On ressort partagé entre curiosité et frustration, sensible à la sincérité des artistes mais en attente d’une écriture plus affirmée et d’une technique plus fantasque. On devine l’élan, l’histoire, l’envie de dire quelque chose d’essentiel. On espère que ce spectacle deviendra, avec le temps, la version aboutie du rêve annoncé.
Où voir le spectacle?
A la Scala jusqu’au 4 janvier 2026
