Valérie Lesort s’empare avec audace des cabarets satiriques d’Hanokh Levin pour en proposer une version scénique explosive, entre cabaret halluciné et théâtre grotesque. Fidèle à son univers visuel exubérant, elle offre une relecture déjantée, entre farce cartoonesque et portrait acerbe de la condition humaine. Portée par une distribution hors pair et un travail plastique remarquable, cette création est à la fois une fête théâtrale et une réflexion grinçante sur les absurdités de l’existence.
Sans proposer de narration linéaire, Que d’Espoir ! s’apparente à une succession de tableaux burlesques et cyniques, tirés des textes courts et chansons de Levin, traduits par Laurence Sendrowicz. Chaque sketch, chaque chanson, chaque numéro, met en scène un personnage grotesque, dérisoire, ridicule mais toujours humain. Impossible de ne pas y voir des individus de son entourage. On y croise un homme indigné qu’on ne le borde pas à l’hôtel, une femme qui décline ses douleurs sans pudeur, un couple englué dans la médiocrité affective, un client rêveur devant un stand de hot-dogs, ou encore une épouse au bord de l’hystérie à cause d’une demande de sel. Ces scènes faussement légères dévoilent avec une cruauté joyeuse les fêlures de chacun, tendant au public un miroir déformant, hilarant et parfois sévère.
La force du spectacle repose en grande partie sur l’esthétique assumée de Valérie Lesort, qui puise autant dans les cartoons que dans l’univers drag. On connait la qualité de ses créations à l’image de Le Voyage de Gulliver ou La mouche. L’univers visuel est éclatant : couleurs acidulées, prothèses grotesques, costumes oversize, perruques monumentales figées. Carole Allemand, collaboratrice fidèle, signe des costumes transformables qui évoquent les jeux d’enfant type « Monsieur Patate » : les accessoires rigides s’imbriquent comme des éléments de Playmobil, accentuant l’effet de créatures marionnettiques. Le résultat : une galerie de personnages à la frontière entre le théâtre, la bande dessinée et le cabaret queer. Le tout donne un cachet unique, entre surréalisme scénique et satire sociale.
Les transformations à vue, les ruptures de ton et les effets visuels à la fois drôles et dérangeants traduisent une volonté de faire du corps un espace de jeu, de métamorphose et de questionnement existentiel. Dans ce chaos maîtrisé, Valérie Lesort dirige ses comédiens avec une précision millimétrée, refusant toute gratuité dans l’outrance. Le grotesque devient ici un outil de lucidité : la difformité révèle le vrai, l’exagération rend sensible la condition humaine dans ce qu’elle a de plus absurde, de plus fragile.
Côté distribution, la troupe est à la hauteur de l’ambition du projet. Hugo Bardin (alias Paloma), lauréat de Drag Race France, impressionne par son aisance scénique et sa capacité à incarner avec fluidité une multitude de rôles. David Migeot excelle dans l’art du décalage et de la rupture de jeu. Valérie Lesort impose une présence magnétique et exubérante. La révélation du spectacle, c’est Charly Voodoo, réputé pour ses performances au cabaret de Madame Arthur, il signe ici une performance éblouissante, à la fois comique, musicale et tragique. Pianiste virtuose, chanteur sensible, comédien habité, il électrise la scène à chaque apparition. Cette relecture d’Hanokh Levin par Valérie Lesort réinvente le cabaret satirique dans une forme hybride, pleine de dérision, de flamboyance et de tendresse. Derrière les paillettes, les cris et les rires, c’est une réflexion profonde sur la misère humaine qui se dessine, entre grotesque et poésie.
Valérie Lesort transforme l’univers noir et tranchant d’Hanokh Levin en un carnaval théâtral où l’excès révèle l’essentiel. Que d’Espoir ! est une comédie cruelle, joyeuse et profondément humaine. On en ressort ébloui, amusé, un peu sonné et sans doute, un peu plus lucide sur notre propre absurdité.
Où voir le spectacle?
Au théâtre de l’Atelier jusqu’au 8 juin 2025
1 place Charles Dullin
75018 Paris