Dès l’entrée en scène, l’atmosphère s’installe comme un coup de poing intimiste, une urgence silencieuse qui nous tient en haleine. La comédienne Bwanga Pilipili incarne avec une intensité rare, Rita. La présence qu’elle déploie emporte tout sur son passage. On sort de cette expérience transformé, le souffle troublé par ce qui a été dit et ce qui reste à entendre.

Ce spectacle est un manifeste de la voix féminine, de celles qu’on a longtemps réduites au silence, à l’ombre du pouvoir et de la norme. Bwanga Pilipili ne se contente pas d’interpréter. Elle porte chaque mot, chaque souffle, chaque peur, chaque larme, chaque doute, chaque souffrance. Elle fait résonner le cri intérieur avec puissante, les violences subies, les exigences de dignité qui demeurent malgré tout présent. Le dispositif scénique est d’une sobriété audacieuse avec juste un micro en pied, de la musique et quelques éclairages. Ainsi cela laisse au texte et aux émotions de circuler librement, sans jamais alourdir. Et aussi de permettre aux spectateurs de pouvoir être touché par ce qui nous est délivré. Dans ce face-à-face tendu, on ressent la force de l’intime confronté à l’institutionnel, la douleur contenue, la rage tapie, le racisme intégré… Surtout, on sent l’élan de résistance qui ne faiblit jamais et cette voix qui se refuse à être étouffée.

La pièce explore aussi la question des héritages coloniaux, des identités déplacées, des attentes imposées aux corps et aux âmes. Qui permet à certains de parler, à d’autres de demeurer invisibles ? Le parcours de Rita, femme installée camerounaise contrainte de devenir aide-ménagère-nounou-esclave sexuelle-épouse en Belgique d’un certain Christian. Son prénom pouvait faire croire qu’il était un homme saint. Au contraire, son récit révèle les renversements cruels du désir d’élévation, surtout de cet homme. Il frappe Rita pour prendre le pouvoir, se sentir fort et lui aussi avoir du pouvoir. On demande à Rita d’oublier ces racines et devenir ce que l’on veut d’elle, de devenir ce que les gens pense d’elle. Ses blessures on exige de les taire et ses combats on les juge illégitimes. Une femme noire ne peut pas réfléchir? espérer? réfléchir? Son fils, l’adorable Mathis en sait quelque chose car le racisme, il le vit au quotidien, d’autant plus à l’école. « Qu’est-ce qui peut être grave à 9 ans? » Qu’est-ce qui justifie qu’un policier mette son genou pour écraser le corps de l’enfant au sol. « Il n’arrive plus à respirer ». La tension est palpable et la lumière de Kelig Le Bars propose une création extraordinaire au service de l’artiste du texte. Le texte de Laurène Marx creuse ces fractures avec des mots tranchants, des fulgurances, des silences qui font sens. L’écriture, tour à tour combative et vulnérable, hante longtemps l’esprit et fait émerger une colère dense. On a envie de se plonger dans l’ouvrage. A cela se rajoute aussi le magnifique travail de mise en musique de Laurène Marx qui donne ce cocon pour bousculer nos émotions et nous donne autant envie sourire à la vie que de faire exploser la colère.

Portrait de Rita est une œuvre remarquable, vertigineuse et nécessaire. La comédienne y est sublime, magnifique, habitée, magistrale et tellement d’autres choses. C’est un spectacle qui titille les consciences, bouscule les certitudes et ouvre un espace vital pour entendre les silences et les voix longtemps ignorées.

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