Dès les premiers échanges, une tension saisissante s’installe, comme si chaque mot était une flèche dirigée vers l’autre. Le décor déborde de paquets cadeaux et ce chaos visuel intrigue immédiatement. Ainsi se dresse un champ de bataille psychologique où tout peut basculer.
L’audace de cette création tient dans sa mise à nu d’un couple contemporain, désarmé face aux fissures qu’il porte en lui. La pièce monte crescendo en intensité, sans recours à l’artifice. Chaque dialogue devient une micro-explosion intérieure qui touche toujours la cible. Marilyne Fontaine et Assane Timbo offrent une prestation à couper le souffle. Ils sont vraiment incroyable et bluffant. Chaque inflexion, chaque silence, chaque geste porte un univers entier, une tension sous-jacente. Ils sont vraiment des comédiens à suivre. Leur complicité est flagrante et donne du sublime à la représentation.
Le metteur en scène Robin Ormond opte pour des renversements de rôles répétitifs, qui creusent les zones d’incompréhension et dévoilent les rouages invisibles des rapports de pouvoir. Indéniablement, le regard change selon le protagoniste et interroge aussi nos stéréotypes. Est-ce que cela dit la même chose si c’est dit par un homme ou une femme? Vouloir une famille amène à une autre dynamique de couple avec des disputes et l’interrogation de la valeur travail. Est-ce la même chose pour celui qui va au bureau que pour celui qui privilégie les enfants?
Le texte de Marius von Mayenburg, acerbe, incisif, déploie une langue vivante entre le quotidien et l’abîme. Le spectacle exploite pleinement la scénographie grâce à ces montagnes de cadeaux jamais ouverts pour montrer que l’hypocrisie du don peut devenir une arme silencieuse. Ces cadeaux épousent le rythme de la joute verbale, siège ou arme, les deux? Malgré la densité, on ne perd jamais pied. Nous sommes happés, captifs de la verticalité psychologique de ce face-à-face tendu.
« Peu importe » interroge aussi la place de l’autre dans notre quête d’identité, la façon dont les attentes et les frustrations miment à l’intérieur un combat silencieux. Ici, l’intime se confond avec le politique, la vie de couple devient miroir des injonctions sociales de réussite, de genre, de reconnaissance. Les renversements récurrents donnent à entendre que tout compromis est une zone d’ombre et que le moindre mot peut se retourner contre soi. Le théâtre devient instrument de mise en lumière de ce qui se cache derrière les mots aimant, blessant et l’impasse relationnelle. Nous sommes confrontés à la cruauté, à l’usure des sentiments, à la langue qui trahit autant qu’elle prétend unir.
Peu importe est un spectacle audacieux, flamboyant et exigeant, traversé par une performance exceptionnelle. Marilyne Fontaine incarnent cet éclat de larmes, de souffrance, de doute et d’amour sous la peau de dialogues précis et cicelés. C’est une pièce marquante et rappelle que le théâtre peut encore être un lieu d’interrogation.
Où voir le spectacle?
A la Scala jusqu’au 4 janvier 2026