
L’ouverture de la pièce surprend par sa légère étrangeté volontaire. Un souffle vivace traverse l’espace grâce aux partages de cocasses souvenirs. Nous sommes entraînés dans un univers où l’imprévu dialogue fait travailler la mémoire.
Le texte se révèle d’une grande précision. Il joue de la digression, du trait d’esprit, de l’oralité spontanée, sans tomber dans l’anecdote plate et sans intérêt. Christine Murillo tient ce monologue avec une fougue irrésistible, modulant ses intonations, ses respirations, ses doutes pour faire surgir Pauline Carton. Non comme un fantôme, mais comme une figure vivante d’un autre temps où les rencontres improbables sont légions. La narration passe en cascades, d’un souvenir à un constat, d’une réplique cocasse à une réplique poignante, sans rupture brutale. L’écriture navigue entre l’absurde et l’émotion, entre la gouaille théâtrale et la confidence intime. Le fil conducteur tient à cette voix qui s’invente, qui rechigne, qui explore ce qu’est exister quand le nom même a vieilli. À travers la langue, l’image de l’actrice oubliée et retrouvée se reconstruit, avec humour et gravité, avec audace et tendresse. Impossible de ne pas s’attacher à elle. Elle nous charme par sa simplicité et son authenticité. Comment faire revivre une figure du passé? Comment porter une voix disparue sans l’actualiser, sans la trahir ? Nous sommes invités à se souvenir, à redécouvrir, à entretenir une présence.

La mise en scène de Charles Tordjman choisit la clarté plutôt que l’ornement. L’espace scénique est sommaire. Quelques accessoires tels une table, des chaises, une boîte en carton, une gourde.. Un fond neutre pour que les mots prennent corps et s’épanouissent. Le jeu chorégraphique des gestuelles, l’ombre portée, le rythme des déplacements, les pauses délibérées, tout cela contribue à créer une dramaturgie visuelle qui épouse la densité du propos. Les transitions se font sans heurt. Les instants suspendus parlent pour eux. On sent dans les silences, dans les hésitations du jeu, dans l’invention permanente, que le spectre de Pauline Carton est composé d’ombres, d’absences et d’échos. Le spectacle interroge la notion de transmission. Un acte témoin, un geste de fidélité, un hommage qui ne renonce pas à l’invention. L’énergie du plateau est contagieuse, elle traverse la salle, rallume une petite flamme chez chacun, rappelle que le passé n’est jamais clos, que le théâtre peut ranimer des vies oubliées avec éclat et fantaisie.
Pauline & Carton est un bijou de théâtralité, énergique, inventif et habité. Christine Murillo offre une incarnation stupéfiante, pleine de reliefs et de verve.
Où voir le spectacle?
A la Pépinière jusqu’au 30 novembre 2025