
Une ombre épaisse plane sur la scène, comme si le monde basculait déjà dans un gouffre sans retour. Les corps, les sons, les visions se télescopent dans un chaos parfaitement orchestré. Très vite, on comprend qu’il va assister à une plongée radicale dans la noirceur humaine.
La réécriture du Munstrum Théâtre s’affirme comme un séisme scénique où tout—sons, sang, corps—devient matière à récit. Les créateurs convoquent une brutalité assumée, qui bouscule les sens et impose une immersion totale. Les massacres s’enchaînent avec une précision glaçante, les têtes tombent, les chairs semblent se déchirer et pourtant rien n’est gratuit. Chaque moment, si cruel soit-il sert un propos d’une cohérence redoutable. La scène, saturée de noirceur, se transforme en un territoire où la mort respire, avance et se répand comme une marée qui jamais ne renonce. Des figures monstrueuses surgissent, avatars du mal qui ronge Macbeth et son univers. On ne peut que se laisser happer par cette dramaturgie organique, où l’horreur devient langage. C’est un théâtre qui n’adoucit rien, qui ose tout, qui revendique le choc comme révélateur. Une esthétique extrême, fascinante, maîtrisée de bout en bout.

Le travail du Munstrum sur les corps est d’une forte intensité. Louis Arene, Sophie Botte, Delphine Cottu, Olivia Dalric, Lionel Lingelser, Anthony Martine, François Praud et Erwan Tarlet se contorsionnent, se démembrent de façon figurative, s’engloutissent les uns dans les autres pour incarner la montée inexorable de la folie et de la peur. La célèbre trajectoire du héros shakespearien se décline ici en une décomposition physique autant que mentale. On assiste à l’effritement progressif de toutes les frontières aussi bien entre vie et mort, que désir et destruction ou domination et effroi. Le viol d’un cadavre n’apparaît pas comme une provocation mais comme le symptôme ultime d’un monde sans repères où l’humain s’est dissous. Les déplacements, chorégraphiés jusque dans le chaos, créent une sensation de spirale infernale. La folie circule comme une épidémie, contamine les gestes, la musique, les voix, les fumées, les regards, les costumes… L’incroyable travail du masque de Louis Arene renforce la terreur. Les interprètes, engagés physiquement à un niveau spectaculaire, fabriquent une tension continue qui s’accroît jusqu’à l’étouffement. On en ressort secoué, stupéfait par la puissance de leur incarnation.
Ce Makbeth réinventé ne se contente pas d’être une performance visuelle, c’est aussi une lecture implacable de la mécanique du pouvoir. En faisant du chaos la norme, le Munstrum montre comment l’ambition transforme les individus en créatures dévorées par leurs propres ténèbres. Les scènes s’enchaînent comme des rituels où la violence devient un outil politique, une méthode, un langage. Le pouvoir y est un organisme monstrueux, qui exige des sacrifices et dévore ceux qui le convoitent. La scène, presque sans repère stable, rappelle la fragilité des certitudes humaines. On ressent la contamination progressive de tous les personnages, entraînés malgré eux dans un engrenage qu’ils ne contrôlent plus. Cette vision, d’une lucidité tranchante, résonne avec une force étonnante dans notre époque agitée. L’ensemble compose un théâtre total, viscéral, qui ne cherche pas à rassurer mais à révéler.
Ce spectacle est un uppercut esthétique et émotionnel dont on ne se remet pas de suite. On en ressort touché, admiratif et étrangement revitalisé par tant d’audace scénique. Un moment de théâtre rare, vertigineux, qui rappelle combien l’art peut encore surprendre, troubler et émerveiller.
Où voir le spectacle?
Au théâtre du Rond Point jusqu’au 13 décembre 2025