
Cinq silhouettes surgissent pour évoquer l’un des voyages les plus déterminants de l’Histoire humaine. L’aventure renaît sous une forme à la fois épurée et terriblement vivante. Le récit se transforme en odyssée scénique où l’ingéniosité supplante le spectaculaire pour encore mieux nous emporter.
L’adaptation du texte de Stefan Zweig trouve ici une vitalité retrouvée, portée par un sens du récit très précis. La traversée apparaît dans toute sa dimension romanesque, nourrie par l’obstination d’un capitaine taiseux et agressif ainsi que par les complots, les tensions et l’esprit d’exploration qui anime chaque avancée. Les cinq interprètes, Étienne Destombes, Alexandre Dissoubray, Thibaut Large, Grégory Mitchell et Aurélien Pornet, donnent à ce voyage une amplitude dense en alternant les tensions, les affects et les élans héroïques. Ils insufflent une humanité frappante aux marins pris entre volonté de survie et soif d’horizons nouveaux. « Un défi contre les certitudes du monde connu ». Le souffle de Zweig s’entend dans le rythme narratif, dans la progression dramatique, dans ce désir de comprendre les grandeurs et failles d’un homme qui ne laissait rien transparaître.

La scénographie repose sur quelques caisses, des tonneaux, un drapeau replié et une structure en bois dont l’usage se révèle constamment inventif. À partir de ces éléments minimaux, la troupe parvient à créer la tempête, le roulis, l’immensité du Pacifique, la maladie ou la claustration étouffante des navires sans oublier le bar, lieu de socialisation. Cette économie d’objets donne paradoxalement une grande liberté d’imaginer, enrichissant la sensation de péril, de faim, d’errance et de doute. L’ingéniosité du dispositif scénique permet d’aller à l’essentiel avec l’humain confronté à l’inconnu. « Ils me suivront ou ils périront ». L’espace se transforme, respire, se contracte, évoquant à la fois le pont d’un navire, une salle de commandement, un champ de bataille intérieure ou un lieu à terre où l’on raconte ces péripéties. Un simple objet de costume comme un bonnet contribue à désigner le lieu.
À travers cette fresque compacte, la mise en scène de Claire Boust convoque un esprit d’épopée où chaque geste dessine un acte de résistance face aux éléments. On y ressent le poids des choix, l’aveuglement du meneur, la fragilité d’un équipage réduit au fil du voyage et la force de l’amitié ainsi que de la solidarité. La force du spectacle tient aussi dans sa capacité à relier le passé au présent, à faire du périple de 1519 une réflexion sur la détermination humaine, l’ambition et la conquête d’un monde encore flou. Cela nous interroge aussi à comment on écrit l’Histoire quand ceux qui tentent l’impossible meurent en court de route. Ainsi on passe d’Antonio Pigafetta à Stefan Zweig pour passer par des hurluberlus talentueux qui veulent faire rêver et voyager. « Qu’est-ce qu’un exploit s’il n’est pas raconté? « . L’adaptation de Thibaut Large et Aurélien Pornet combine tension, poésie et précision historique, nous donnant une vigueur constante. Ce voyage-là rappelle que l’audace n’est pas un luxe mais une nécessité pour élargir le regard. « Ce n’est pas l’histoire d’un homme, mais d’une époque. »
Une plongée théâtrale vibrante qui honore autant la littérature, l’aventure que l’Histoire. Une troupe engagée qui offre une traversée d’une belle intensité où le temps file à grande vitesse. Une création qui prouve qu’il suffit d’un récit puissant, d’auteurs inventifs et de comédiens inspirés pour nous plonger dans la torpeur des océans.
Où voir le spectacle?
Au Funambule jusqu’au 1er février 2026