Dans une lumière froide et une scénographie épurée, Françoise Gillard nous plonge au cœur de L’Événement, une œuvre majeure d’Annie Ernaux. Ce texte, empreint d’une vérité crue et d’une intensité bouleversante, retrace le parcours intime et douloureux d’une jeune femme confrontée à un avortement clandestin dans la France des années 1960.

Sur un plateau presque vide, simplement accompagné d’une chaise en bois, la comédienne du Français fait résonner la voix de l’autrice avec une puissance contenue. La collaboration artistique entre Denis Podalydès et Françoise Gillard privilégie une sobriété presque austère, permettant aux mots tranchants d’Annie Ernaux de s’imposer et de résonner en chacun. Le décor minimaliste, allié à un jeu de lumières discret cependant significatif, recentre toute l’attention sur l’interprétation magistrale de Françoise Gillard. Elle porte sur ses épaules le poids de ce récit tout en laissant transparaître une lumière faite de révolte et d’espoir. Cette retenue scénique reflète avec justesse l’écriture percutante d’Annie Ernaux, une prose dépouillée, directe et viscérale, qui relate sans embellissement ni apitoiement le drame intime d’un avortement illégal dans une époque où la liberté des femmes à disposer de leur corps était niée.

La comédienne incarne avec une subtilité remarquable la jeune femme qu’était l’autrice à 23 ans. Ses gestes mesurés, sa posture légèrement voûtée, sa voix fragile et vibrante d’émotion traduisent à la fois l’angoisse, la solitude et la résilience de son personnage. Chaque mot, chaque silence, chaque mouvement est pesé, donnant une profondeur inouïe au récit. Vêtue d’une robe simple, une perruque de longs cheveux châtains encadrant son visage, elle donne vie à une parole intime et universelle, portée par une grande humilité et une sincérité désarmante. Son jeu, tout en nuances, parvient à transmettre non seulement la violence de l’expérience, mais aussi la force qu’Annie Ernaux a su en tirer pour se reconstruire et devenir une femme affranchie.

La force du spectacle réside dans son intemporalité et son écho poignant aux luttes actuelles pour les droits des femmes. À une époque où le droit à l’avortement est remis en question dans de nombreux pays, L’Événement prend une dimension résolument politique et engagée. Le choix de porter ce texte à la scène, dans le cadre des Singulis de la Comédie-Française, est un acte militant, un rappel indispensable des batailles féministes passées et des dangers d’un retour en arrière. Cette œuvre continue d’être jouée dans d’autres lieux, tels que le Théâtre 14, prolongeant ainsi sa portée universelle.

Le spectacle invite également à une réflexion sur le rôle de l’art face aux violences sociales et morales. En donnant corps au récit autobiographique d’Annie Ernaux, Françoise Gillard illustre avec brio le pouvoir de la littérature et du théâtre à rendre visible l’invisible, à briser les tabous et à éveiller les consciences. En relatant les trois mois les plus marquants de sa vie, l’écrivaine dépasse le cadre du témoignage personnel. Son expérience devient celle de toutes les femmes confrontées à la violence d’une société patriarcale et à la clandestinité d’un acte médical pourtant fondamental. « On me jugeait par rapport à la loi. On ne jugeait pas la loi. » Le spectateur est confronté à l’inhumanité des lois, des normes d’une époque et à l’urgence de protéger un droit durement acquis mais toujours fragile dans le monde.

L’Événement est bien plus qu’un spectacle. C’est un cri nécessaire, un appel à ne jamais oublier les luttes qui ont permis aux femmes de gagner des droits fondamentaux et une invitation à rester vigilants face aux menaces qui pèsent encore sur ces acquis. Un moment de théâtre essentiel, poignant et inoubliable.

Où voir le spectacle? 
Au théâtre 14 jusqu’au 25 janvier 2025

 

Tags:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *