
Une musique surgit dans l’obscurité, accompagnée par une voix chaude, chaleureuse comme un moteur qui se lance sur une route brûlante. Les États-Unis défilent dans la pénombre avant même que le décor n’apparaisse. Progressivement, on devient passager clandestin de cette traversée humaine comme l’espérance d’un départ vers l’inconnu.
L’adaptation et mise en scène de Xavier Simonin donne à ce monument littéraire une forme rare, vivante, profondément incarnée. Porté par un comédien-conteur magnétique, le récit prend des allures de road movie théâtral où chaque mot soulève la poussière des plaines américaines. La musique, signée Jean-Jacques Milteau, Glenn Arzel et Claire Nivard, devient l’asphalte sonore d’un voyage collectif, une respiration qui soutient le texte sans jamais le recouvrir. On suit la quête d’un homme jeté hors de ses terres, en exode vers un horizon incertain, espérant du travail, un repas et un peu de dignité.
Le décor minimaliste, efficace, ouvre l’espace de l’imaginaire et rappelle que ce roman parle avant tout de vies tenues par un fil, de lutte, de survie et surtout de persistance. L’histoire se déploie sans fioritures, comme une route droite et dure, où chaque halte raconte l’Amérique des oubliés, des miséreux et des téméraires. Le livre prend corps, la pauvreté devient un visage et la route une ligne de destin. Ce pari de simplicité, loin de réduire le propos, l’élève, l’allège, l’aiguise. C’est une incroyable audace maîtrisée.
On sent le souffle de Steinbeck, intact, brûlant, transmis sans trahison. Les musiciens-chanteurs ne sont pas des accompagnateurs . Is sont compagnons de route, narrateurs à leur façon qui restent à nos côtés. Les lumières de Bertrand Couderc, sobres, sculptent des paysages entiers en quelques ombres et jeux de clair/obscur. Les costumes simples et efficaces d’Aurore Popineau ancrent l’époque sans figer le mouvement. Les vêtements sont propres comme pour donner de la dignité à ces exclus du monde. Tout respire l’amour du texte, la fidélité au peuple qui y vit, l’ambition d’embrasser le roman plutôt que de le résumer. C’est puissant, beau, nécessaire. Un moment de théâtre qui touche au cœur. Et aussi qui rend triste car le récit est aussi celui de notre société aujourd’hui.
On ressort avec la poussière du voyage encore dans la gorge, un peu bouleversé par la force de l’humain en lutte et touché par la beauté de l’aventure. On se dit que certains spectacles ne racontent pas seulement une histoire. Ils ont la capacité de transmettre un souffle et de rester en chacun.
Où voir le spectacle?
Au Lucernaire jusqu’au 8 février 2026