Plonger dans le théâtre, c’est souvent accepter de se laisser surprendre, bousculer et émouvoir, ce qui est le cas avec Les Petites Bêtes. Delphine Théodore propose une œuvre à la croisée du conte et du drame, où poésie et introspection s’entrelacent pour explorer les zones d’ombre des relations humaines. Ce spectacle captivant invite à une réflexion profonde sur les mécanismes de l’emprise et les métamorphoses intérieures.

Les Petites Bêtes est une pièce de théâtre qui se présente comme un conte moderne, mêlant onirisme et drame psychologique. Elle entraîne le spectateur dans les profondeurs des relations humaines, filiale, à la fois complexes et inextricables. À travers un trio féminin bouleversant, Delphine Théodore dissèque les mécanismes insidieux de l’emprise, ce lien invisible et toxique qui se dissimule sous le masque de l’amour. La scénographie de James Brandily est d’une grande poésie, jouant sur l’apparence trompeuse d’un univers doux et gracieux. Tout semble délicat, mais tout est danger et souffrance. Une forêt mystérieuse s’approche, les bruits s’amplifient, les ombres s’allongent. C’est comme si l’on regardait à travers un trou de serrure, fascinés et terrifiés à la fois. Cette mise en scène, ciselée et minutieuse, évoque avec une force visuelle remarquable les souvenirs d’enfance qui hantent les personnages, cristallisant leurs douleurs et leurs désirs.

Le jeu de Louise Legendre, Amandine Dewasmes et Claire Aveline et les chorégraphies de Rémi Boissy parfaitement accordée s, proposent une expérience à mi-chemin entre théâtre et danse. Par moments, le temps semble s’arrêter, les gestes deviennent des images suspendues, comme des souvenirs marquants surgissant d’un passé enfoui. Cette oscillation entre mouvement et immobilité, entre rêve et réalité, donne à la pièce une dimension profondément onirique, presque hypnotique. La voix-off de Mathieu Amalric, douce et grave, agit comme un fil narratif à l’apparence bienveillante. Elle accompagne les spectateurs dans cette exploration intime et troublante, jouant sur le contraste entre la douceur du conte pour adulte et la menace larvée qu’il contient. Une menace amplifiée par la masculinité qui rôde discrètement dans cet univers féminin, comme une ombre silencieuse et ambiguë.

Le texte regorge de doubles sens et de nuances. La grand-mère, sous des airs bienveillants, est une figure tyrannique. La mère, dévouée à outrance, est prisonnière de son rôle. La petite fille, loin d’être une victime passive, finit par trouver en elle la force de briser ce cycle destructeur. Ici, tout est ambiguïté : les gentils ne sont pas si gentils, les monstres ne sont pas forcément ceux que l’on croit et le salut réside souvent là où on ne l’attend pas. Ce sentiment se fait surtout grâce au talent époustouflant des comédiennes qui s’investissent totalement dans leurs personnages. On applaudit vraiment la prestation tout en fragilité et force de Louise Legendre.

La symbolique du Petit Chaperon rouge traverse l’œuvre, convoquant l’imaginaire collectif pour mieux le détourner. La forêt devient le théâtre des premières peurs, des premiers choix et aussi de la première libération. La petite fille, qui croyait devoir sauver sa mère, découvre finalement ses propres désirs et apprend à les suivre, au prix d’une transformation aussi inquiétante que libératrice. Il faut souligner le rôle important du loup, personnage au combien important, qui progressivement se métamorphose. Géraldine Zanlonghi et Delphine Théodore donnent vie à l’animal. Au début, assez discret, prend la taille d’un homme.

Les Petites Bêtes est un spectacle tout en nuances, où la violence sous-jacente est contrebalancée par une esthétique d’une rare délicatesse. Ce jeu constant entre douceur et brutalité, entre rêve et cauchemar, confère à la pièce une puissance émotionnelle qui marque profondément. Delphine Théodore offre ici une œuvre d’une grande justesse, touchant à l’intime et à l’universel et rappelle combien nos “petites bêtes” intérieures peuvent être à la fois des chaînes et des forces libératrices. Certaines scènes résonnent profondément avec les spectatrices dans la salle, faisant affleurer des larmes face à des récits intimes et inavoués.

Avec Les Petites Bêtes, Delphine Théodore réussit un pari audacieux : toucher à la fois à l’intime et à l’universel, tout en offrant une expérience visuelle et émotionnelle inoubliable. Ce conte moderne, mêlant subtilité et profondeur, interroge nos ombres personnelles et la lumière qui peut en émerger. Une œuvre qui résonne bien au-delà du plateau, marquant durablement le spectateur.

Où voir le spectacle? 
Au théâtre 13 Bibliothèque jusqu’au 24 janvier 2025
30 rue du Chevaleret,
75013 Paris

Puis les 29 et 30 janvier Grand R Scène nationale de La Roche-sur Yon

Pour aller plus loin : https://open.spotify.com/episode/6PAFbo92204oY5smJESUZC

 

Tags:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *