
Depuis près de trente ans, ce texte emblématique circule à travers le monde, porté comme un étendard nécessaire et vibrant. Sur la scène du Studio Marigny, « Les monologues du vagins » retrouve aujourd’hui une nouvelle incarnation, sensible, puissante et toujours actuelle. Trois interprètes, trois générations, trois humanités, pour un même souffle : celui qui refuse que les voix des femmes s’éteignent.
Le spectacle tisse un chœur où se mêlent récits intimes, confidences politiques et éclats de vie, donnant corps à toutes celles dont la parole fut trop longtemps confisquée ou tue. Galia Salimo, Camille Léon-Fucien et Aurore Auteuil incarnent avec une précision remarquable des femmes qui découvrent leur sensualité, affrontent la honte, défient les injonctions, racontent les violences subies, du viol aux mutilations sexuelles. Leur jeu se distingue par trois timbres, trois façons d’habiter le plateau, trois manières de transmettre l’indicible, offrant un panorama riche et bouleversant de ce que signifie exister dans un monde qui surveille, contraint et juge les corps féminins. La mise en avant des vécus transidentitaires s’inscrit naturellement dans l’écriture de V (Eve Ensler), qui n’a voulu laisser aucune femme derrière elle. L’humour surgit pour survivre, la douceur pour apaiser, la rage pour témoigner. L’ensemble forme un tissu de résistance qui nous touche et nous révolte.

La mise en scène classique et fidèle selon toutes les adaptations, célèbre la force des interprètes en choisissant un dispositif sobre, presque cérémoniel, où chaque geste prend sens. Quelques lumières modelées et un espace épuré suffisent à faire émerger des univers entiers, des souvenirs enfouis et des colères encore brûlantes. Les corps racontent autant que les textes, avançant d’un rythme à l’autre avec une fluidité admirable. Le spectacle alterne récits crus, moments suspendus et adresses directes d’une grande sincérité, révélant la puissance dramatique de la parole féminine lorsqu’elle n’est plus contrainte à murmurer. On y sent le travail précis de transmission et d’écoute. Rien n’est surjoué, rien n’est édulcoré. L’humour, porté haut, devient un outil de survie, un moyen de renverser les stigmates et de désamorcer la violence systémique. Une scène fait éclater la salle de rire, une autre l’étreint d’un silence lourd et cette alternance crée un mouvement qui tient fermement en haleine.
Le spectacle rappelle combien les combats féministes restent indispensables. Et surtout combien la parole doit continuer de se déployer malgré la lassitude que provoquent les injustices répétées. Les récits se succèdent comme autant de miroirs tendus à une société qui avance encore trop lentement vers l’équité réelle. Les thématiques abordées tels les abus sexuels, les pressions sociales, la découverte du plaisir, l’oppression des corps, les héritages traumatiques… façonnent une mosaïque d’expériences qui résonne intimement chez chacune. La représentation transparaît comme un acte d’amour et de courage, où chaque interprète s’engage avec une humilité remarquable. Le public reçoit une leçon de résilience, de dignité et d’humanité. On ressort frappé par la puissance de ces récits, par la grâce des interprètes et par l’urgence intacte du propos. Ainsi que l’envie de se replonger dans le livre et de partager ce spectacle nécessaire..
On quitte la salle ému, admiratif de cette parole incarnée avec tant de force et de générosité. On emporte avec soi ces voix multiples, ce chœur vibrant, cette humanité qui cherche encore à se relever. On sait alors que ce spectacle est plus qu’un moment de théâtre, c’est un acte nécessaire de vigilance, de lutte et de colère.
Où voir le spectacle?
Au Studio Marigny jusqu’au mardi 23 décembre 2025