Les Histrioniques porté par le collectif #MeTooThéâtre, s’impose comme à la fois nécessaire et dérangeant, un véritable poil à gratter dans le paysage théâtral français. En articulant l’urgence militante avec une forme maîtrisée, la pièce offre une critique sans concession d’un système culturel qui continue de protéger les agresseurs tout en stigmatisant les victimes. Dans une alternance habile entre satire grotesque, témoignages documentés et scènes de sororité, les artistes dénoncent la loi du silence et l’hypocrisie du milieu tout en interpellant directement le public sur son rôle de spectateur et souvent, de complice passif.
Dès les premières minutes, la pièce capte l’attention en jouant sur une tension constante entre le comique et le tragique. « Nous sommes dans un endroit sécurisé ». « Nous protégeons notre anonymat et le vôtre ». Le titre, Les Histrioniques, pose d’emblée le ton : un clin d’œil amer à ce terme utilisé en psychiatrie pour décrédibiliser les victimes en les taxant d’exagération ou de théâtralité. Sur scène, cette accusation récurrente faite aux femmes, celle d’en “faire trop”, est retournée avec brio. Les agresseurs et leurs alliés sont représentés comme des caricatures grotesques comme des bouffons baroques en toge, discours absurdes et fleuves de larmes artificielles. Au milieu des scènes comiques où les figures masculines sont réduites à leurs clichés les plus vils, les témoignages des victimes émergent dans toute leur dureté. « Une fiction vraie ».
Ces récits, documentés et dépouillés de tout artifice, forcent le silence dans la salle et frappent par leur intensité émotionnelle. Ils rappellent que, derrière la farce, la réalité est bien plus tragique : 99 % des plaintes pour violences sexistes et sexuelles se soldent par des classements sans suite ou des non-lieux. Ce contraste entre l’absurde et le documentaire donne à la pièce une densité particulière. Le spectateur est tantôt touché par le rire, tantôt cloué par l’horreur des faits rapportés.
La force de la mise en scène réside aussi dans sa capacité à inclure le collectif #MeTooThéâtre. Sur scène, les six comédiennes, Louise Brzezowska-Dudek, Nadège Cathelineau, Marie Coquille-Chambel, Séphora Haymann, Julie Ménard et Elizabeth Saint-Jalmes, incarnent non seulement des personnages, mais aussi un mouvement, une lutte et une résistance. Elles se cachent derrière leurs doubles fictifs tout en se montrant comme militantes engagées et solidaires. À travers des échanges tirés de conversations numériques ou des disputes entre alliées, elles exposent aussi la difficulté du militantisme avec son lot de doutes, de désaccords, de la fatigue face à l’inertie des institutions, de la peur… « Il l’a violé sur la moquette ». « Visibiliser son affaire, mais à quel prix? ». Ces moments d’humanité, parfois drôles, parfois poignants, ancrent la pièce dans une réalité concrète et accessible. Ils rappellent que le combat féministe, bien qu’épuisant, repose avant tout sur une sororité inébranlable. « Nous ne luttons pas dans un monde idéal ».
La scénographie, minimaliste et percutante, contribue à renforcer cette double dynamique. Les costumes exagérément théâtraux des prédateurs se confrontent à la sobriété des militantes en tee-shirts, comme celui arboré par Louise Brzezowska-Dudek, sur lequel est dessiné un requin aux mâchoires béantes. Cette opposition visuelle traduit la fracture idéologique que la pièce met en lumière. D’un côté, un système culturel figé, hégémonique, et patriarcal et de l’autre, un mouvement résistant, modeste mais résolu, qui se bat pour faire entendre une parole souvent étouffée. Les choix de mise en scène sans compromis avec des lumières tamisées, des ruptures de ton, de l’alternance de rythmes, amplifient cette lutte entre deux mondes que tout oppose.
Si c’est une réussite théâtrale, c’est aussi parce qu’elle ne se contente pas de dénoncer. Elle interroge aussi notre rapport au théâtre, à la justice, à la vérité, au storytelling. Elle incite le regardant à se demander pourquoi on rit, pourquoi on est mal à l’aise et surtout, ce que l’on fera après. La pièce ne prétend pas apporter de solutions miracles. Il n’en existe pas. Toutefois, les comédiennes posent les bonnes questions : pourquoi le théâtre continue-t-il à protéger ses monstres sacrés ? pourquoi les récits des victimes peinent-ils à être crus ? comment transformer un art souvent complice en un lieu d’émancipation et de justice ?
Les Histrioniques est bien plus qu’un spectacle : c’est un acte de résistance, un cri de colère et une invitation à réfléchir. Grâce à sa forme hybride, le collectif #MeTooThéâtre, parvient à déstabiliser, nous toucher tout en captivant. Ce théâtre engagé rappelle que l’art a un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre les violences systémiques. Une pièce indispensable, pour secouer les consciences et rappeler que le combat pour l’équité et la justice ne se joue pas uniquement dans les tribunaux, mais aussi sur les planches.
Où voir le spectacle?
Au théâtre de Belleville jusqu’au 29 janvier 2025
3 et 4 mars 2025 – Scène Nationale 61 – Alençon
13 mars 2025 MPAA – Paris, suivie d’une Table Ronde
11 avril 2025 Studio – Théâtre de Stains
25 et 26 avril 2025 – Théâtre de la Foudre – Rouen avec l’Etincelle et le CDN de Normandie
15,16, 20 mai 2025 – Le Préau à Vire – Festival A vif
Pour aller plus loin, voici les références :
Que faire des hommes violents ? – Un podcast à soi
Au procès des folles – Un podcast à soi
Les fantômes de l’hysterie – LSD
Les couilles sur la table – Nous faire Justice
Le culte de l’auteur : les dérives du cinéma français de Geneviève Sellier
#MeTooTheatre chez Libertalia
Féminicides – Christelle Taraud
Inceste et pedocriminalité, la loi du silence – Arte radio