Quand deux artistes arrivent à transformer un tas de cartons en odyssée hilarante, le théâtre devient magique. On se laisse embarquer dans un univers à la fois surréaliste et profondément accessible, sans artifice superflu. On rit, s’étonne, s’émerveille… des moments rares et précieux.
Dès les premiers instants, la mise en scène impose son style : un plateau nu, deux comédiens, des surfaces de carton qui se plient, se superposent, s’animent. Chaque révolution de plat ou chaque empilement devient décor, personnage ou paysage, évoquant l’Islande, l’Écosse, la France, l’Espagne au gré d’un voyage burlesque hors des frontières. Le comédien passant de la posture statique au jeu expressif, parfois muet mais toujours compréhensible, invite à un théâtre de l’imagination où le visuel est roi, renforcé par une inventivité sans cesse renouvelée. Le carton, matériau humble, se métamorphose en univers foisonnant : objets, obstacles, architectures de fortune dont on admire la précision, la poésie, l’ingéniosité. On sort de la salle convaincus qu’avec peu, on peut toucher à l’universel.
Pierre Guillois et Olivier Martin-Salvan donnent une leçon de maîtrise et d’humour. L’un anime le récit avec une énergie physique formidable, l’autre porte une expressivité vocale et une mimique qui transpercent toute réserve. Leur complicité est palpable : chaque geste, chaque tressaillement, chaque silence joue pour instaurer une connivence avec le public, qui rit ensemble, parfois retient son souffle, toujours se laisse surprendre. Aucun temps mort, aucun fléchissement. Même quand le rythme pourrait se relâcher, l’engagement des comédiens électrise l’espace. On sent à quel point ce duo vit le spectacle, se dépense, se renouvelle à chaque scène.
Sous le voile de la comédie, ce cabaret de carton interroge : le voyage intérieur, la parole absente, la langue inventée ou absurde, tout cela ouvre une porte à la réflexion sur la communication, la frontière entre l’absurde et le signifiant. Le rire n’est pas gratuit : il révèle parfois nos propres étrangetés, nos limites, nos manières de comprendre l’autre. Il y a aussi une poésie douce-amère dans cette odyssée sans parole intelligible, où l’émotion se glisse entre deux cartons, dans une intonation, dans un silence ou dans l’éclat d’un geste. Ce spectacle atteint cette rare alchimie qu’on attend du théâtre : faire vibrer l’esprit autant que le corps du spectateur. Quel talent!
Un spectacle lumineux, inventif, excitant, drôle, d’une générosité rare. Une œuvre qui prouve que le théâtre populaire peut dépasser les conventions, toucher toutes les sensibilités, émouvoir sans simplifier. Un moment exceptionnel de rire, d’émotion et de surprise qui reste longtemps après le rideau tombé.
Très gros coup de coeur
Où voir le spectacle?
Au théâtre de la Pépinière jusqu’au 28 décembre 2025