Sur la scène, on ose convoquer l’inéluctable : la fin de vie, la décision, l’affect et l’incertitude. Le spectacle déploie un parcours intime, partagé, où l’émotion affleure à chaque instant sans artifice. La proposition s’impose comme un rare moment de vérité et de confrontation.

L’auteur Lukas Bärfuss fait très fort avec son texte « Le voyage d’Alice en Suisse, Scènes de la vie de la vie de l’euthanasiste Gustav Strom ». Il plante dès le départ un décor moral complexe.  Alice, une jeune femme atteinte d’une maladie incurable, choisit de rencontrer un médecin euthanasiste en Suisse. Le sujet de l’aide à mourir est traité dans toute son ambiguïté en abordant à la fois la liberté, la souffrance, la jugement sociale, la responsabilité médicale et le poids des proches, apparaissent comme autant de pierres à l’édifice. Il y a dans ce texte une volonté de ne pas trancher, de laisser l’espace au doute, au débat, à la pensée, ce qui est d’une audace rare au théâtre contemporain. Le spectacle ne se contente pas de montrer ou d’émouvoir, il bouscule les certitudes, interroge ce qu’on croit connaître et ce qu’on redoute. Surtout, il résonne avec une proposition de loi au droit à l’aide à mourir qui reste lettre morte pour l’instant, d’autant plus en période électorale.

Stephanie Dussine

Stéphanie Dussine orchestre la pièce avec sobriété et précision, créant une atmosphère sobre où chaque geste compte, chaque silence pèse. La scénographie de Margaux Maeght, les jeux de lumière d’Adrien Ribat et la musique ainsi que le chant en direct de Charles Saint-Dizier tissent ensemble une esthétique sensorielle forte, qui fait corps avec le texte. Brigitte Aubry, Nicolas Buchoux, Anne-Laure Denoyel, Stéphanie Dussine, Olivier Hamel et Sébastien Ventura habitent leurs personnages avec chair, vérité, douleur et amour mêlés. L’équilibre entre moments tendus et moments d’humour noir, entre gravité et respiration poétique, démontre une maîtrise qui touche à l’intime. Lorsqu’on découvre le suicide pour s’endormir avec un sac plastique sur la tête, on est choqué. Etait-ce une façon de dénoncer l’absurdité d’un système médical? C’est une référence à l’association Dignitas, qui en 2010, a choisi cette technique avec de l’hélium face à l’arrêt des ventes de Penthotal dans certaines pharmacies qui s’oppose à l’assistance au décès.

Lorsqu’on sort de la salle, on est saisi, ébranlé, souvent silencieux, perdu dans notre réflexion. Le spectacle provoque un effet miroir. On se voit confronté à la mort, rappelant la tristesse de ceux que l’on a déjà perdu en se remémorant les cicatrices ou/et la peur de perdre des personnes de notre entourage, de la famille. Par ses dialogues, ses confrontations, ses instants confessionnels, l’œuvre encourage une introspection souvent évitée. Elle constitue également une contribution nécessaire au débat public sur le droit de mourir dans la dignité, sur la place de la loi, de la religion et sur ce qu’il convient de nommer humanité, responsabilité et accompagnement.

Un voyage théâtral à la fois exigeant et profondément humain, une respiration de sincérité dans le tumulte des tabous. Ce spectacle montre que le théâtre peut être un lieu de courage, d’interrogation, de rencontre avec sa vision du monde. À voir pour qui souhaite sortir transformé, capable d’écouter ses doutes et d’accepter ses propres questions sur la fin de vie.

Où voir le spectacle? 
Au théâtre de Belleville jusqu’au 30 septembre 2025

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