
Une drôle de communauté attire irrésistiblement l’attention en mêlant détresse, fantaisie et solidarité. La scène immense devient le terrain mouvant d’une humanité cabossée qui tente de tenir debout . On y découvre un refuge fragile dont l’étrangeté provoque un véritable attachement.
Dans ce lieu de soin improbable, une poignée d’êtres bandés des pieds à la tête tente de composer avec une maladie mystérieuse qui semble altérer aussi bien le corps que l’âme. Les gestes du quotidien prennent un relief étrange, oscillant entre la maladresse comique et une gravité sourde qui affleure sans prévenir. Le médecin, figure fil rouge et volontairement déroutant, s’adonne à des expérimentations saugrenues qui donnent naissance à des situations d’un humour singulier, dont cette opération théâtrale où jaillit un os gigantesque, amusante dans son outrance scénique. L’assistante, elle-même patiente, amplifie le comique avec une douce incohérence qui structure l’ensemble. Le groupe se construit autour d’élans impulsifs, d’affrontements passagers et de réconciliations immédiates, révélant un fragile équilibre. Marie Alié, Marie Bourin Okuda, Antoine Cogniaux, Antoine Herbulot, Alice Laruelle, Nicolas Payet et Léa Romagny Vallentin jouent des contradictions humaines, montrant comment la vulnérabilité rapproche autant qu’elle divise. Chaque apparition révèle une individualité précise, pleine de fêlures, dont l’excentricité devient contagieuse. Au fil des scènes, la fantaisie collective devient un langage commun, une manière de transformer la douleur en énergie vitale. Et c’est précisément dans ce mélange de rudesse et de tendresse que se loge l’émotion la plus durable.
« Le Mal du hérisson » regorge d’inventions théâtrales, jouant avec les limites du réalisme pour créer des moments à la fois absurdes et profondément humains. L’épisode du fusil, où l’espoir repose littéralement sur la trajectoire d’une balle, devient une métaphore irrésistible de la façon dont chacun cherche, parfois désespérément, un signe pour continuer à y croire. Ce geste dérisoire prend soudain l’ampleur d’un rituel collectif, comme si toute la maison retenait son souffle devant l’éventualité d’un miracle. L’humour naît de cette disproportion entre la trivialité de l’objet et la gravité du contexte, rappelant que l’on s’accroche souvent à des chimères pour contrer l’angoisse. Tout le monde peut s’identifier dans cette utopie. La maladie, omniprésente, s’incarne moins dans des symptômes que dans une atmosphère de fragilité partagée qui imprègne chaque interaction. L’attente de la mort d’un patient adoré crée un suspense doux-amer, révélant la capacité du groupe à se soutenir malgré leur confusion. Les interprètes insufflent une justesse totale à ces glissements entre rire et mélancolie, sans jamais forcer l’émotion. Ce balancement constant donne une couleur unique à la pièce, où l’absurdité devient un refuge contre la fatalité. Une tendresse inattendue se tisse alors, silencieusement.
La scénographie se distingue par une créativité discrète qui laisse toute la place au mouvement, au corps et à l’imaginaire. Les interprètes, visibles lorsqu’ils attendent en coulisse, contribuent à instaurer un rapport direct et sensible avec le public, comme si la fiction se construisait sous nos yeux. Les trombes de pluie suggérées par l’arrosoir, dont l’eau ruisselle dans des bassines de boue avant d’engloutir les jambes des acteurs, donnent à chaque entrée un réalisme troublant, évoquant une course épuisante vers un abri dérisoire. Ce dispositif ingénieux renforce la sensation d’un monde extérieur hostile, tandis que l’intérieur se transforme en cocon fragile où l’on se serre pour ne pas sombrer. La lumière chaude crée par Nicolas Marty enveloppe constamment les scènes, atténuant les drames et accueillant la comédie dans un halo protecteur. Les sonorités de Benoît Pelé participent à cette atmosphère flottante, mêlant douceur, inquiétude et éclats de vie. La musique et les bruits ambiants soulignent les accidents, rythment les transitions et installent une temporalité presque hypnotique. Tout cela compose une esthétique qui respire, bouge, tremble et adresse directement la fable au cœur du spectateur. L’inventivité est de mise pour notre plus grand plaisir.
On ressort touché par cette communauté improbable qui transforme la fragilité en puissance créative. On garde en mémoire la poésie burlesque qui irrigue chaque scène. On emporte surtout la sensation d’avoir assisté à une célébration lumineuse de l’humanité bancale et de la force de l’amitié.