Quand on pénètre dans la salle, on constate tout de suite que cette version ne sera pas ordinaire. Elle bouscule, elle chaloupe, elle étonne et elle détonne. Chaque comédiens investit chaque recoin de l’espace avec une fougue maîtrsée, transformant le classique en moment de théâtre à vif. On sort de la salle avec l’impression d’avoir assisté à une réinvention audacieuse, vive, viscérale d’un Shakespeare.
L’un des choix très audacieux, de la compagnie Quand il fera nuit, tient au traitement du tragique shakespearien dans une langue contemporaine et une scénographie fluide. Agathe Mazouin et Guillaume Morel réinventent Le Conte d’hiver de William Shakespeare. Leurs choix de traduction, leur direction d’acteurs, leur désir d’approcher le mythe sans le travestir donnent une version où les ombres du texte ancien raisonnent avec notre époque. La transposition dans un cadre plus moderne, l’usage de costumes contemporains, la lumière qui change d’atmosphère d’un instant à l’autre, les projections vidéo subtiles, les soirées dansantes… tout cela permet de réancrer la pièce dans notre société tout en respectant ses mystères.
Louis Battistelli, Myriam Fichter, Joaquim Fossi, Mathias Zakhar, Mohamed Guerbi, Tom Menanteau en alternance avec Léo Zagagnoni, Olenka Ilunga, Eva Lallier Juan, Julie Tedesco, Zoé Van Herck, Padrig Vion, Neil-Adam Mohammedi portent ce projet avec une énergie débordante, collective, passant du drame au merveilleux, de la douleur à la grâce, jouant avec les tonalités et les tensions internes. Ils nous emportent et nous tiennent en haleine pendant les 2h30.
Le premier acte frappe délicatement par sa violence psychologique. Léontes, consumé par la jalousie, est incarné avec une intensité crue, ses replis, ses croyances obsédantes atteignent des zones presque insupportables. Impossible de contrer une logique pleine d’illogisme. Puis la pièce glisse vers le conte, la renaissance, les retrouvailles. Un virage qui est difficile à tenir, pourtant ici c’est admirablement maîtrisé. Le contraste entre les temps du désespoir et ceux de l’espérance crée une musique dramatique qui ne nous lâche jamais. On sent que les metteurs en scène ont pris des risques tels refuser la facilité, affronter l’âpreté, confronter le merveilleux. Ils assument pleinement, donnant ainsi au spectacle une force rare, singulière et originale. On saute de moments de comédie, à des chants, à de la danse. Ce récit n’est pas un juste un vieux bouquin poussiéreux mais un corps vivant, traversé de troubles, de désirs, de doutes. C’est un pari collectif magnifiquement réussi qui insouffle du nouveau pour le théâtre classique, avec la conscience que l’ancien.
Cette version du Conte d’hiver est une audacieuse tempête théâtrale dans laquelle on aime être. Elle nous rappelle que revisiter les classiques peut être un acte de liberté, de ferveur, de surprise et de folie.
Où voir le spectacle?
Au théâtre 13 jusqu’au 10 octobre 2025