On se retrouve en compagnie d’une femme seule face au souvenir d’un génie, à l’ombre d’un amour colossal. Sur scène, la voix fragile, vive et malicieuse de Julie Depardieu fait revivre celle d’une oubliée de la littérature et de l’Histoire française. Il y a, dans cette évocation de Juliette Drouet, un mélange de passion et de mélancolie, de tristesse et de douleur.
Muse, amante, prisonnière et parfois poétesse de l’ombre, Juliette Drouet fut bien plus que l’amante de Victor Hugo. Actrice au destin contrarié, elle s’effaça volontairement pour devenir la gardienne d’un géant, recopiant ses manuscrits, gérant ses lettres, vivant dans le sillage d’un homme dont le génie n’avait d’égal que l’appétit pour la gloire, l’écriture et les conquêtes. Ce seul-en-scène d’1h10, porté par l’excellente Julie Depardieu, redonne chair à cette femme. Tour à tour ironique, amoureuse, jalouse, elle nous emporte dans le tourbillon d’une relation où la dévotion tutoie l’aliénation. La comédienne parvient à rendre ce paradoxe vivant, oscillant entre la tendresse et la révolte, entre la soumission apparente et une liberté intérieure farouche.
La performance de Julie Depardieu est sans conteste. Elle habite la scène avec cette excentricité si singulière, une gestuelle fébrile, une voix vibrante, un regard qui se fissure et s’illumine à chaque instant. Elle ne joue pas Juliette Drouet, elle l’incarne dans toute sa contradiction. On est captivé par sa capacité à faire surgir la vérité derrière le romanesque. Mais on est tout de même un peu resté surpris. On sait l’incroyable palette d’émotions de l’artiste par rapport à ce qui lui a été demandé. Elle aurait pu vraiment insuffle à ce texte un souffle de modernité par sa sincérité et son grain de folie. On sent que la comédienne aurait aimé aller plus loin dans la transgression, dans la curiosité intellectuelle de cette femme méconnue. Car sous la plume, Juliette apparaît trop souvent docile, soumise à l’excès, oubliant qu’elle fut aussi une femme libre dans sa pensée et courageuse dans sa fidélité.
La mise en scène, en revanche, demeure plus classique, parfois figée dans une esthétique d’un autre temps. Les transitions sonores et lumineuses, bien que soignées, peinent à apporter une véritable respiration ou une tension dramatique. Le décor, minimaliste, laisse toute la place à la comédienne, mais manque d’audace pour soutenir pleinement le texte. La comédienne reste par exemple tout le temps en chemise de nuit comme pour insister que son espace est la chambre, isolée de tout. Cependant, cette simplicité permet paradoxalement de mieux mesurer la puissance du jeu, qui parvient à remplir le plateau d’une énergie fine. L’essence du théâtre est là avec une femme, une histoire, une voix. Et, malgré la sobriété scénique, ce portrait d’amour déraisonné finit par nous atteindre nous séduire car on ne voit jamais le temps passé.
Un seul-en-scène intense, porté par une interprète de talent. Derrière le romantisme tragique, se révèle une femme libre, soumise et complexe, trop longtemps confinée dans l’ombre d’un géant.