Il existe des spectacles qui saisissent instantanément le public par leur liberté, leur inventivité et leur intelligence. Ici, l’humour devient une arme douce et redoutable, capable de faire vaciller les certitudes et d’apaiser les blessures. On découvre deux talentueuses artistes dont l’audace transforme un sentiment intime en un terrain de jeu universel.

L’un des grands plaisirs de ce spectacle réside dans son écriture, ciselée par Élise Roth, Léa Roblot et Mickaël Délis, qui déploient un humour d’une finesse très réjouissante. Le texte avance à pas feutrés pour mieux exploser en déflagrations absurdes, révélant la mécanique universelle de la honte, de la plus intime à la plus collective. Chaque anecdote, chaque détour, chaque chute prend racine dans un vécu reconnaissable, rendant l’ensemble irrésistible. Les auteurs osent tout : l’autodérision, la satire, l’impertinence tendre. Leur travail forme un véritable manifeste contre l’isolement émotionnel, un plaidoyer pour transformer ce sentiment si humain en matière théâtrale jubilatoire. On rit, on se reconnaît, on se surprend à secouer la tête devant la lucidité du propos. Le rythme est d’une efficacité remarquable, ponctué de moments d’une cocasserie inattendue. Le public bascule d’une hilarité franche à une réflexion plus douce, sans rupture, dans une harmonie qui force l’admiration. Un travail littéraire rare tant il réussit à embrasser le ridicule et la dignité du quotidien.

Élise Roth et Léa Roblot livrent une performance qui frôle la virtuosité, jouant avec une précision déconcertante les multiples figures de la Honte. Leur complicité, palpable, irrigue tout le spectacle et donne aux scènes une saveur explosive. Elles alternent avec naturel entre sérieux clinique et folie douce, créant deux personnages à la fois absurdes et profondément humains. Leurs corps racontent autant que leurs mots : souplesse, énergie, maîtrise totale du rythme. Et pourtant rien ne semble forcé, tout paraît jaillir dans un élan de liberté exaltante. La scène du changement de tenue, du pantalon culotte vers un maillot de bain fleuri devient un véritable morceau d’anthologie tant elle allie précision physique et dérision absolue. Elles jouent avec leurs failles, leurs maladresses, leurs forces, offrant un spectacle où l’humanité s’expose sans fard. Leur capacité à faire rire sans jamais écraser l’émotion crée un lien rare avec le public. Elles illuminent le plateau par un talent qui ne se contente pas de divertir. Il interroge, soulage et rassemble.

Avec presque rien, une table, quelques feuilles volantes et une boîte métallique, Élise Roth et Léa Roblot composent un univers d’une inventivité renversante. Leur mise en scène repose sur un minimalisme assumé qui décuple l’imagination du spectateur. Chaque objet devient potentiel révélateur de malaise, de ridicule ou de catharsis, manipulé avec une précision presque chorégraphique. Le dispositif scénique, volontairement dépouillé, permet de concentrer l’attention sur le jeu et sur l’idée que la honte est un espace mental avant d’être un décor. Cette économie crée une forme de magie théâtrale où l’on voit surgir l’extraordinaire à partir du presque rien. Elles maîtrisent l’art de transformer un geste insignifiant en moment hilarant ou saisissant. L’écriture visuelle accompagne parfaitement le texte, créant une cérémonie à la fois douce, piquante et délicieusement déroutante. L’ensemble avance avec un naturel déconcertant, comme si tout coulait de source alors que tout est minutieusement orchestré. Le spectacle devient un rituel ironique, joyeux, libérateur.

Ce spectacle fait éclore un rire rare, celui qui libère autant qu’il dévoile. On en sort ému, galvanisé et reconnaissant d’avoir partagé un moment d’une intelligence aussi tendre que corrosive. Une pépite théâtrale à chérir, tant elle rappelle que la honte, parfois, peut devenir une fête.

 

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