Dès les premières minutes, la salle s’embrase d’un succombant mélange de rire et de vigoureuse tension sociale. La troupe, sous la direction inspirée de Léna Bréban, déploie une énergie folle qui embrasse le classicisme tout en l’irriguant d’une modernité saisissante. On ressort de la pièce le cœur vitriolant, convaincu que le théâtre est toujours autant nécessaire.

L’un des grands mérites de cette mise en scène est sa capacité à rendre le texte de Beaumarchais à la fois familier et provocateur à travers le miroir du monde contemporain. « C’était hier mais c’est aujourd’hui. » Le projet s’appuie sur des choix esthétiques audacieux avec des décors mobiles à la structure apparente, des costumes mêlant XVIIIᵉ siècle et touches actuelles. A cela s’ajoute une distribution flamboyante. L’incroyable Philippe Torreton est un Figaro aussi malin que poignant. Il nous porte dans ces rares monologues. Marie Vialle en Suzanne se joue des attentes comme des silences. Grétel Delattre, la comtesse qui installe sa mélancolie dans l’éclat du drame. La direction des comédiens est rigoureuse, chaque personnage respire, chaque mot claque et chaque claque résonne.

La portée politique et féministe de la pièce est palpable, sans que le spectacle ne tombe dans l’illustration appuyée ou la leçon. On sent dans le regard posé sur les rapports de classe, dans la violence subtile des désirs contrariés, dans la manière de donner voix aux femmes qui pendant longtemps ont été reléguées, une urgence, un chant de révolte sous les sourires. Le maître qui viol des femmes et les met à la porte, ne devrait pas être si anodin. La scène trouve un équilibre remarquable entre la comédie de caractères, le burlesque des situations et la gravité des enjeux moraux qui sous-tendent le tout. On rit sans oublier la critique sociale ainsi que la réflexion que cela génère.

Le rythme, effréné, donne à cette « folle journée » sa vitalité : quiproquos, péripéties, rebondissements se succèdent sans temps mort, on rit, on frémit, on réfléchit. La virtuosité scénique est au service d’un texte qu’on croyait connaître, redécouvert sous un jour nouveau : la satire sociale est mordante, la répartie incisive, l’actualité des luttes d’hier et d’aujourd’hui s’invite partout. On ne doute même plus que écrit en 1778 a toujours sa place sur scène dans tous les théâtres de France et de Navarre. La première représentation date du 27 avril 1784 à l’Odéon après avoir subi plusieurs années de censure. Dorénavant, on peut y aller librement et le message se fera entendre.

La Folle Journée ou Le Mariage de Figaro est un spectacle généreux, audacieux, intelligent, profondément drôle. Il rappelle que le théâtre classique, quand il est habité et visionnaire, reste un outil redoutable pour interroger notre passé, notre présent et secouer les consciences. On en sort grandi, rincé de bonheur, et persuadé que Figaro n’a pas fini de nous parler.

Où voir le spectacle? 
A la Scala jusqu’au 4 janvier 2026

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