Sur une scène baignée d’une lumière tamisée, une silhouette apparaît. Mikaël Chirinian, seul en scène, s’apprête à nous emmener dans un voyage glaçant, celui de la cavale du médecin nazi Josef Mengele après la chute du Troisième Reich. Adaptée du roman d’Olivier Guez, la pièce, mise en scène par Benoît Giros, offre un spectacle d’une intensité dramatique bouleversante, une réflexion profonde sur la fuite, l’impunité et la mémoire.

Le roman d’Olivier Guez, qui a reçu le Prix Renaudot en 2017, est une œuvre remarquable par sa précision documentaire et sa puissance littéraire. La transposition au théâtre relève du défi. Comment incarner un monstre sans lui donner une voix complaisante ? Comment raconter sans tomber dans la démonstration ou l’effet dramatique superflu ? La mise en scène et le jeu d’acteur font le choix d’un récit distancié, presque clinique, où les faits eux-mêmes suffisent à provoquer le trouble et l’effroi. Loin d’une interprétation caricaturale du personnage de Josef Mengele, Mikaël Chirinian ne le joue pas. Il le convoque, le traque, l’entoure, le fait apparaître dans les interstices du texte, dans les silences, dans les regards du monde qui l’entoure.

Mikaël Chirinian livre une prestation d’une grande puissance qui demande l’admiration. Seul sur scène, il incarne tour à tour les différentes figures de cette fuite éperdue, les complices argentins qui lui offrent refuge, les agents du Mossad qui ne l’attraperont jamais ou encore le fils qui viendra lui rendre visite des années plus tard. Il ne cherche pas à humaniser ce médecin nazi. Il le place face à nous, comme une ombre insaisissable, une entité dont la monstruosité ne tient pas seulement à ses actes, mais aussi à son arrogance, à sa certitude d’avoir raison, à cette insupportable impunité dont il a bénéficié jusqu’à sa mort. Il se déplace peu, chaque geste est mesuré, chaque mot est pesé avec une précision glaçante. Le choix d’une scénographie sobre, réduite à l’essentiel avec un fauteuil, quelques lumières diffuses, une bande-son subtile, renforce cette impression d’étouffement et de solitude. C’est l’Histoire elle-même qui prend toute la place et elle nous happe sans jamais nous lâcher.

À travers cette traque insaisissable, La Disparition de Josef Mengele questionne la mémoire collective et la manière dont le monde a fermé les yeux sur la fuite des criminels nazis après 1945. Comment Mengele a-t-il pu vivre des décennies en toute quiétude en Amérique du Sud ? Pourquoi personne n’a voulu l’arrêter alors que son nom était connu de tous ? Le texte met en lumière les complicités politiques et sociétales, le soutien dont il a bénéficié de la part de gouvernements complaisants, d’un réseau de nostalgiques du Reich. On sent une indignation sourde, une tension croissante à mesure que le spectacle avance et la tristesse car les larmes coulent. L’Histoire, ici, n’est pas une simple page du passé, elle résonne avec une actualité brûlante et triste. À la sortie du théâtre, un silence habite les spectateurs. Certains échangent quelques mots, d’autres restent murés dans leurs pensées.

Dans un monde où les discours extrémistes refont surface, où la mémoire semble vaciller sous le poids des révisions et des oublis volontaires, La Disparition de Josef Mengele, est un spectacle indispensable pour bousculer les consciences. Il nous rappelle que la justice ne triomphe pas toujours, que l’oubli peut être un choix et que la mémoire est un combat permanent.

 

Où voir le spectacle? 
Au Théâtre de la Pépinière jusqu’au 27 avril 2025

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