Je sentais venir la tempête, adaptation libre de La Maison de Bernarda Alba de Federico García Lorca, est un spectacle audacieux. Donner un nouveau souffle au texte de 1945 demande de l’ingéniosité qui doit être servi par des comédiennes investies. Dès que l’on prend place dans la salle, un pressentiment nous envahit, nous allons assister à une performance théâtrale atypique.
Adapter Lorca est une entreprise périlleuse, tant son écriture est chargée de symboles, de tension et d’une violence sourde. Ici, cette adaptation non seulement lui rend hommage, mais parvient à renouveler l’œuvre en lui insufflant une modernité et une force émotionnelle intense. Le huis clos familial oppressant, les luttes intestines entre les sœurs, la peur, l’isolement et le désir d’émancipation sont magnifiquement restitués. Bernarda Alba, bien que jamais présente physiquement, imprègne chaque mot, chaque silence, chaque geste de ses filles, comme un spectre pesant sur leur existence.
C’est surtout la performance de Sophie Anselme, Julie Duquenoÿ, Claire Marx, Ruthy Scetbon et Ana Torralbo qui fait de ce spectacle un moment de grâce et de délicatesse. Elles ne se contentent pas d’interpréter leurs rôles : elles les habitent, les transcendent. Chaque regard, chaque respiration, chaque mouvement trahit une tension intérieure. Ruthy Scetbon et Sophie Anselme sont particulièrement saisissantes : leur voix, leur regard, leur présence magnétique captivent et nous touchent. Mais elles ne sont pas les seules à briller. L’ensemble de la distribution est impliquée, formant une troupe d’une cohésion et d’une intensité dense. Leur jeu est si juste, si incarné, qu’on a parfois l’impression d’observer des fragments de vie, des éclats de réalité brute, plutôt qu’une pièce de théâtre.
Les choix de mise en scène renforcent cette immersion. Les jeux d’ombre et de lumière sculptent l’espace, accentuant la sensation d’enfermement et d’oppression grâce à ces grands voiles oranges teintés. Les chants en espagnol, les danses subtiles, les respirations musicales viennent ponctuer le drame avec une force poétique et sensorielle troublante. Même si on peut s’interroger sur la présence de « Un, dos, très » de Ricky Martin ainsi que le son ultra-fort. L’utilisation du texte en espagnol, par moments, donne une résonance encore plus profonde à l’œuvre, comme un écho du destin tragique qui se joue sous nos yeux. Le temps file à une grande vitesse où bien des moments font échos à des interrogations qui dépassent l’ancrage temporel.
On ressort de Je sentais venir la tempête sonné, troublé, questionné C’est une expérience théâtrale rare, un moment de pure intensité porté par des comédiennes d’un grand talent. À voir tant pour la beauté de la mise en scène que pour l’excellence de l’interprétation.
Où voir le spectacle?
Au théâtre de Belleville jusqu’au 25 mars 2025