
On entre dans une comédie vive où les élans du cœur et les vertiges du doute se répondent dans une légèreté savamment maîtrisée. Le rire y côtoie une intelligence discrète, révélant les contradictions tendres et parfois cocasses de l’amour. La scène devient alors un terrain d’expérimentation où la jeunesse observe, éprouve et teste les règles d’un monde codifié.
Au XIXᵉ siècle, Alfred de Musset écrit dans un climat intellectuel où la jeunesse romantique cherche encore ses repères, partagée entre héritage moral et désir d’émancipation. Il ne faut jurer de rien appartient à cette période foisonnante où l’auteur, profondément marqué par les bouleversements politiques post-napoléoniens, observe les hypocrisies sociales et les illusions sentimentales de son temps. La pièce s’inscrit dans une réflexion plus vaste sur le mariage, la liberté individuelle et le poids des convenances, sujets qui résonnent encore à notre époque. Les impulsions de Valentin ne sont pas seulement frivoles, elles traduisent une révolte intime contre un modèle social figé. Éric Vigner capte cette tension avec une acuité, offrant à ce texte de jeunesse une vigueur moderne, fidèle à l’esprit ironique et lumineux de l’auteur. Sous cette apparente légèreté, le spectacle révèle des interrogations profondes sur l’amour et la capacité d’un individu à s’engager sans renoncer à lui-même.
La vision scénique d’Éric Vigner s’affirme comme une proposition audacieuse, presque radicale, où les panneaux mobiles perforés composent un paysage mouvant. Ils deviennent autant de portes, de murs, de respirations, sculptant l’espace avec une liberté décontractée. L’absence de meubles ou d’ornements renforce cette épure et laisse émerger un langage sensoriel porté par la lumière. Le travail de Nicolas Bazoge inscrit chaque geste dans un clair-obscur vibrant, révélant un salon, un jardin, un couloir, un recoin de confidence, sans jamais recourir au réalisme. Cette abstraction permet au spectacle d’adopter une fluidité singulière, empreinte d’une poésie visuelle qui magnifie le jeu des interprètes. La scène respire, se transforme, s’ouvre ou se resserre au fil des émotions. On goûte ce pari esthétique qui fait du plateau un espace mental, où les sentiments prennent forme et la surprise de l’amour devient matière vivante.

Les six comédien·nes issu·es de la promotion 11 de l’École du TNB apportent un souffle irrésistible à cette comédie. Esther Armengol, Lucille Oscar Camus, Stéphane Delile, Esther Lefranc, Paolo Malassis et Nathan Moreira incarnent leurs rôles avec une assurance étonnante, mêlant énergie juvénile et finesse d’interprétation. Leurs visages expressifs, leurs postures marquées, la musicalité de leurs phrasés composent un ensemble d’une cohérence réjouissante. Aucun ne tire la couverture. Chacun laisse éclore la justesse du collectif, ce qui donne au spectacle une grande générosité. La symbiose entre leur fougue et le minimalisme scénique crée un terrain ludique où la drôlerie s’enracine dans la sincérité. On savoure particulièrement la manière dont ils actualisent les rapports de séduction, en révélant le trouble, la pudeur, les maladresses et la vulnérabilité des personnages. La comédie se teinte alors d’humanité, et la farce devient miroir d’une jeunesse qui cherche encore comment aimer et se comporter.
Ce spectacle gracieux et malicieusement construit redonne tout son éclat à la pièce de Musset sans jamais l’alourdir. On ressort charmé par cette alliance d’audace, de fraîcheur et d’intelligence.
Où voir le spectacle?
Au théâtre 14 jusqu’au 20 décembre 2025