Dès les premières minutes, le huis clos s’installe dans une forte tension, vous capturant dans l’étreinte de deux esprits ardents. Les comédiens incarnent leur dualité avec une émotion brute et une précision rare, imposant un face-à-face qui brûle les planches. Rien de telle pour donner vie à ce conflit entre les amis, Van Gogh et Gauguin.
L’un des atouts majeurs de ce spectacle est le portrait subtil et vraisemblable des artistes en lutte que cela soit pour leur relation, pour trouver de la renommée ou pour apaiser les blessures. Alexandre Cattez campe un Gauguin assuré, volontiers provocateur, porté par une liberté fruit de ses errements. « Je préfère le vif de la confrontation. » Tandis que William Mesguich insuffle à Van Gogh une fragilité extrême et un feu intérieur à fleur de peau, flirtant avec la folie. Ce contraste émerge non dans l’affrontement systématique et brutal. mais dans les hésitations, les silences et surtout les éclats. Chaque regard, chaque geste parlent et la tension circule sans effort visible.
La scénographie de Cliff Paillé et Noémie Alzieu est discrète avec ce qu’il faut. On nous immerge dans l’atelier d’Arles comme un espace de confession, entouré de chevalets, de toiles, de projections d’images. Tout cela dialogue avec les corps sur scène pour prolonger visuellement le conflit artistique. Le texte, d’une rigueur documentée, mêle correspondances, dialogues fictifs et évocations intimes pour redonner chair à ces moments cruciaux de la création.
Cette pièce est aussi une approche de la folie, de la créativité et des sacrifices que l’art exige. On y perçoit combien la quête picturale peut être vertigineuse, combien l’obsession de transmettre le monde entraîne des compromis, des tensions psychiques, des fractures. Le génie apparaît ici comme une blessure portée au plein jour. L’œuvre naît du chaos, de l’angoisse, de la tension et aussi de la beauté, de rites. « Désormais , je cherche une forme de brutalité. » Le spectacle interroge la limite où la passion artistique se mêle à la folie, le moment où peindre devient une brèche dans l’âme. La pièce invite également à contempler le rôle du regard de l’autre, celui qui juge, admire, critique et le poids de l’héritage que ces deux peintres se laissent mutuellement. « C’est totalement absurde et gravement beau. » Enfin, la pièce révèle ce que la confrontation entre deux visions artistiques peut produire de beauté, de douleur et de vérité. Le choc des mondes devient l’étincelle de la création. Est-ce cela qui a amène Vincent à se couper l’oreille?
Gauguin – Van Gogh est un spectacle puissant, vibratoire et brillant. Alexandre Cattez et William Mesguich sont tout simplement magistraux. C’est une œuvre qui nous rappelle combien l’art est ce terrain instable où le beau se mêle à l’abîme.
Au Lucernaire jusqu’au 16 novembre 2025