
One fois le noir déclenché, l’adresse au public prend immédiatement la forme d’un témoignage, d’un partage entre proches. Une femme se tient là, ni héroïne ni victime, simplement humaine, prête à convoquer ses souvenirs et ses fantômes. Très vite, on comprend qu’il s’agira d’une conversation intime qui dépasse les frontières du moi pour toucher à l’héritage, aux identités et aux silences qui façonnent une vie.
Ce que l’on retient réside dans la présence simple et sincère de Fatima Soualhia Manet, qui joue à la fois son propre rôle et celui de cette « frangine » choisie, amie-miroir qui l’accompagne et la questionne. Ce jeu en duo dans un seul corps permet une réflexion, où la parole circule, s’affronte, hésite et se réconcilie. Le texte de Fanny Mentré, très fin, mêle douceur, humour et gravité avec une remarquable honnêteté, évoquant tour à tour les non-dits familiaux, les origines algériennes qu’elle porte sans les connaître et la construction identitaire lorsqu’on grandit entre deux mondes. Un des récits les plus marquants reste celui de l’agression par un ami du père. Un moment dit sans pathos, avec franchise, sans trop de mots et qui rappelle la complexité du silence dans les familles. Loin d’être un manifeste ou une charge politique, la pièce glisse vers des questionnements universels. Ainsi on pose les questions comment se libérer de son passé? Comment aimer son histoire sans s’y perdre ? Comment se trouver et avoir confiance?
Pour donner un peu de joie, le spectacle déploie un humour discret mais bienvenu, qui allège les zones sombres sans jamais les effacer. Il y a de la tendresse dans la manière dont la comédienne raconte son enfance, ses tentatives maladroites de s’intégrer, ses questionnements sur l’appartenance à une culture qu’on lui attribue sans qu’elle en possède les codes. On évoque aussi la biculture de ses parents Algérie-Nancy, les contradictions du milieu ouvrier, toujours avec ce regard à la fois critique et bienveillant. Certaines scènes jouent avec le public qu’elle interpèle sans attendre de réponse, comme avec un complice, créant une atmosphère de confidence partagée. Pourtant, de temps à autre, on ressent l’envie de moments plus étirés, plus complet, notamment dans les passages où le récit pourrait laisser davantage de place au souffle émotionnel. La fluidité reste constante où l’on nous fait aussi bien écouter de la musique ou assister à de la danse ou une séance d’art martial. Cependant, on aimerait en avoir plus pour donner plus de volume aux moments.
Le spectacle trouve sa pleine force dans sa capacité à mêler intimité et Histoire sans jamais se poser en donneuse de leçon. La conteuse incarne une femme à la recherche de sa vérité, qui interroge ses racines, son métier, ses blessures, ses élans et qui refuse de se laisser réduire à une identité imposée. La création lumière de Flore Marvaud et le travail sonore de François Duguest accompagnent subtilement ce chemin intérieur, soulignant la respiration du récit. On ressort avec le sentiment d’avoir entendu une parole nécessaire, touchante, portée par une interprète attachante dont la sincérité ne faiblit jamais. Ce n’est pas une pièce qui cherche l’effet spectaculaire. C’est un portrait, une voix, un voyage sensible dans la vulnérabilité et la reconstruction.
Un récit intime porté avec pudeur et engagement par Fatima Soualhia Manet, une comédienne sincère et touchante à la fois.
Où voir le spectacle?
Au théâtre de Belleville jusqu’au 30 novembre 2025