
Certaines rencontres artistiques réveillent un imaginaire collectif tant la figure évoquée a marqué la culture française. Le spectacle propose précisément de revisiter une voix littéraire inoubliable en s’appuyant sur ses interviews les plus célèbres. Il en résulte un portrait qui cherche l’intime tout en s’articulant autour d’une parole devenue presque mythique.
Caroline Loeb s’empare à nouveau, du verbe saganien avec une affection palpable, laissant paraître une admiration sincère pour celle dont elle porte les mots. La comédienne parvient à retrouver certaines intonations, cette légèreté presque insouciante mêlée à une lucidité aiguë qui faisait la singularité de l’autrice. Pourtant, l’écriture scénique impose des transitions très marquées et des suspensions pensées pour laisser résonner les phrases cultes, ce qui donne parfois une mécanique trop visible. Le flux des entretiens perd alors une part de spontanéité, comme si la précision du geste freinait la vivacité espiègle de Françoise Sagan. Le regard que Caroline Loeb pose sur son modèle reste généreux, enveloppé d’une vraie tendresse. On retrouve les thèmes fondateurs comme l’argent, le désir, le jeu, la liberté farouche, les hommes qui passent et la littérature qui demeure. L’admiration qui transparaît confère au spectacle un charme certain, même si l’on aurait souhaité parfois davantage de respiration entre les tableaux. L’hommage reste élégant, porté avec sérieux et constance.
Alex Lutz, épaulé par Sophie Barjac, propose une direction précise, presque millimétrée, qui fait surgir des images sobres et bien tenues. Les lumières d’Anne Coudret sculptent l’espace avec justesse, jouant sur des intensités douces qui créent des halos mélancoliques. Le décor de Valérie Grall, minimaliste mais élégant, laisse la place à la parole sans l’encombrer et la marque. Ce choix d’une mise en scène contenue donne au récit un cadre esthétique cohérent, même si cette rigueur freine souvent l’émotion brute. Le rythme, lui, varie entre éclats et pauses longues qui cherchent à souligner la profondeur du texte. Ce balancement finit par créer une écoute fluctuante, tant la parole semble parfois s’étirer au détriment de la fluidité. L’ensemble trouve néanmoins une cohérence visuelle réussie.
La pièce s’appuie sur les entretiens réunis dans Je ne renie rien, une matière riche, ciselée, scintillante de formules inoubliables. Ces mots, souvent incisifs, conservent leur force et réveillent l’esprit libre et farouche de Sagan, dont les aphorismes résonnent encore aujourd’hui. Certaines phrases frappent par leur actualité, comme si l’écrivaine observait notre monde saturé de bruit et de superficialité. La mise en avant de ces sentences donne un relief certain au spectacle, bien que leur surlignage scénique puisse paraître trop insistant. Le regard porté sur Sagan reste respectueux, jamais caricatural, toujours soucieux de préserver sa finesse de pensée. Le spectacle interroge aussi la construction d’un personnage public, ce masque qu’elle portait et dont elle riait elle-même. On sort de cette évocation avec l’impression d’avoir côtoyé une légende, tout en restant à distance d’une incarnation totalement vibrante. Le plaisir d’écoute demeure réel, malgré quelques heurts dans le rythme. Cela incite à se plonger dans les vidéos de l’INA et de ceux du texte de base pour refaire vivre une mémoire culturelle.
Cette plongée dans la parole de Sagan touche par son affection sincère et son respect profond pour la pensée d’une femme inclassable. L’ensemble, parfois irrégulier, demeure une traversée fidèle d’une œuvre d’esprit et d’ironie. On repart avec des phrases qui scintillent encore longtemps après la sortie.
Où voir le spectacle?
Au théâtre de Poche jusqu’au 12 janvier 2026