Dès les premiers instants, le silence s’impose comme une onde implacable, prête à éveiller les tensions enfouies. Deux femmes se retrouvent et soudain une histoire tendue invisible entre elles devient palpable. Le spectacle tient à ce fragile équilibre entre ce qui est dit, ce qui est tu et ce qui se heurte

La pièce nous plonge au cœur d’une relation mère-fille, un lien fait d’admiration, de déceptions et de rancœurs. « Je pleure car je suis heureuse de te voir. » Le huis clos impose une proximité vertigineuse entre deux personnes qui ne se sont pas vus depuis 7 ans. Sur scène, Cristina Figari et Juliette Lambot offrent une justesse de ton touchante. Chacune exprime ses blessures avec une honnêteté crue. Leurs silences en disent parfois plus que leurs mots. La mise en scène de Valérie Drouot, épurée, laisse résonner chaque mot, chaque pause. On se retrouve happé dans le labyrinthe affectif de ces deux vies croisées. L’adaptation « fragmentée » de l’œuvre de Bergman conserve la densité psychologique du matériau et suffit à créer un monde en soi, où les non-dits font saigner les cœurs.

Une autre belle réussite du spectacle tient à sa manière de jouer avec la mémoire et la subjectivité. Ce que l’on croit vrai pour l’une se heurte à la version de l’autre. La pièce interroge le rapport entre perception et réalité. « Une famille ce n’est pas quelque chose de figer et de beau. » Ce conflit entre les vérités personnelles donne au drame une dimension universelle. Nous aussi, victimes ou bourreaux dans nos propres récits intériorisés, le spectacle donne un effet miroir. Le temps se disloque, les réminiscences ressurgissent, les reproches se croisent. C’est dans cette dialectique fine entre ce qui fut et ce qui aurait pu être que la pièce trouve sa puissance.

Le face-à-face dramatique fait écho à l’art musical. Le silence est comme une note, la réplique comme un crescendo, le jeu comme une mélodie dissonante. « Quel silence ici! ». Le plateau, presque dépouillé, devient une partition dont chaque respiration, chaque inflexion de voix participe à la montée des tensions. Même la musique très présente autour d’un piano imaginaire, crée une ambiance tendue et provoque un mal-être. On devient auditeur, déchiffreur de subtilités émotionnelles et témoins statiques de déchirures familiales. « Tous les mots chez nous, c’est toi qui les a pris. »

Fragments d’une sonate d’automne est une œuvre pleine de finesse et d’intensité. Ce spectacle nous touche, provoque et questionne.

Où voir le spectacle? 
Au Funambule jusqu’au 28 septembre 2025

 

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