Dans Fête des Mères, Adèle Royné livre une comédie familiale acide où le rire devient une arme tranchante contre les blessures du passé. La pièce, co-écrite avec Vincent Gardet, s’inscrit dans la lignée des huis clos familiaux où les retrouvailles ne tardent pas à virer au règlement de comptes. Avec une plume vive et ciselée, les auteurs dissèquent les travers de la cellule familiale et les rancœurs accumulées au fil des années, offrant aux spectateurs un spectacle aussi hilarant que cruel.
L’histoire se déroule lors d’un repas familial en l’honneur de la fête des mères ainsi que de l’anniversaire de la matriarche pourtant marquée par son absence. Autour de la table se retrouvent deux frères et une sœur aux caractères bien trempés. Louise, humoriste en panne d’inspiration, comédienne, pionne n’a pas revu sa famille depuis un moment et pour de bonne raison. Sa mère l’a surnomme « Petit pute ». Gabriel, l’aîné psychorigide, accompagné de son compagnon Gaspard qui a décidé de joué au con. « Pour une comique, tu manques beaucoup d’humour ». Et Ziggy, le cadet désinvolte, toujours sous le toit maternel depuis des années et venu avec Florence, sa petite amie fantasque et un brin trop portée sur la bouteille. La soirée, qui devait être un moment de retrouvailles, devient rapidement un champ de bataille où les vieilles blessures refont surface. L’absence de la mère, figure centrale et pourtant fantomatique, plane, renforçant la sensation d’un poids familial inéluctable. Son influence, bien que hors-champ, dicte les réactions de chacun. « T’en as pas marre d’être indigne? ».
La force du texte repose sur son habileté à jongler entre dialogues percutants et situations absurdes, loin de se contenter d’une comédie de mœurs classique. Les rapports de force évoluent au fil des échanges et les personnages, d’abord enfermés dans des stéréotypes familiaux bien définis, finissent par révéler des facettes plus complexes et touchantes. Entre sarcasme et non-dits explosifs, l’humour devient un exutoire, une tentative désespérée de camoufler les fêlures profondes qui traversent cette fratrie. Le spectateur est alors pris dans un tourbillon de répliques acérées et de moments d’émotion sincères, où la frontière entre le rire et le malaise se fait de plus en plus ténue. Si la dynamique entre les personnages est savoureusement orchestrée, c’est aussi grâce à une mise en scène qui joue intelligemment sur l’espace et les tensions implicites.
Le très bon jeu des comédiens contribue largement à l’efficacité de la pièce. Adèle Royné incarne une Louise à la fois cynique et fragile avec un ton très décalé, plus incisif. Tandis que Adrien Rouyard campe un Gabriel rigide dont la carapace finit par se fissurer légèrement. Aubin Hernandez/Ziggy, apporte une touche d’insouciance attendrissante, contrebalancée par la présence fantasque, éblouissante, dynamique et flamboyante de Florence Janas en Florence. Enfin, Johann Cuny, dans la peau de Gaspard, insuffle un humour pince-sans-rire qui fait mouche. « Moi, jusqu’à mes 10 ans, j’ai cru que je m’appelais Ta gueule ». L’alchimie entre les acteurs et le rythme soutenu des dialogues confèrent à la pièce une énergie jubilatoire. Le rire ne cesse jamais de raisonner dans la salle. Rien de tel pour se remonter le moral d’autant plus que plus d’une situation pourrait être familière.
En définitive, Fête des Mères s’impose comme une comédie acide et mordante, où l’on rit de bon coeur. Sous des airs de vaudeville contemporain, la pièce interroge avec finesse la notion d’héritage familial, la place que l’on occupe dans une fratrie et le poids des attentes maternelles. Un spectacle aussi drôle que cruel, qui résonne longtemps en nous après le dernier éclat de rire.
Où voir le spectacle?
Au théâtre Lepic à partir du 29 janvier 2025