Et si on arrêtait de prendre les contes de fées pour des histoires “gnangnantes” et mignonnes? Quatre comédiens s’emparent des versions originales de nos récits d’enfance pour les dépoussiérer, les déconstruire et les recharger de sens. Barbe Bleue, Cendrillon, Le Petit Chaperon Rouge : tout y passe, tout explose pour mieux en rire et y réfléchir.
Dès l’ouverture, on croit plonger dans une naïve féerie avec “Il était une fois un roi dans un pays lointain…”. Le décor kitsch annonce la couleur, entre poésie et malaise : “Mort au patriarcat” est inscrit sur les murs, des pigeons tiennent un œil humain dans leur bec, un écureuil dévore tranquillement un doigt dans un arbre. Le vernis craque rapidement. Les princesses ne veulent plus être sauvées, les princes s’appellent tous “Charmant”… mais ne le sont pas toujours.
Cette adaptation très libre de la bande dessinée de Lou Lubie est audacieuse. Transformer un monde de bulles et de dessins figés en théâtre vivant demande une vraie réflexion. Antoine Brin s’appuie sur une solide documentation et une envie brûlante de dire la « vraie » vérité : celle des contes qu’on a trop longtemps édulcorés.
Sur scène, Pierre-André Ballande, Virgile Daudet, Leïla Moguez et Clara Leduc incarnent à tour de rôle ogres, reines, bûcheronnes, fées trash ou enfants désobéissants. Avec un enthousiasme constante, ils alternent entre récit, stand-up, digression pop-culturelle et satire sociale. Les contes sont passés à la moulinette du XXIe siècle, tout en convoquant aux versions anciennes : celles de Basile, Perrault, Grimm ou encore les récits mythologiques. Résultat ? Des récits qui parlent de sexualité, de domination, de violence symbolique et aussi parfois de liberté, de choix et de métamorphose. Certains ont longtemps été censurés et même effacés, notamment ceux abordant les thématiques LGBTQIA+.
Les trouvailles sont nombreuses telles les costumes absurdes et anachroniques, des commentaires décalés, des détournements tordants de répliques classiques – “Marraine la bonne fée, tu peux m’exaucer un vœu ou t’es juste là pour faire joli ?”- ce qui respecte parfaitement le ton de la bd. Certains passages frôlent le too much, les gags lourds ou répétitifs et humour un peu facile. Globalement, l’équilibre entre irrévérence et réflexion tient bon. Un public familliale est le bienvenue car le trash est très mesuré et la critique sociale omniprésente. Les grandes lignes sont abordées avec la transition de la culture orale à écrite et les contes évoluent selon les époques, les sociétés et les pouvoirs en place. Toutefois le sexisme et la discrimination reste omniprésent à travers les siècles. On ressort avec l’envie de relire ces aventures, de questionner ce qu’ils nous racontent (ou nous cachent), et de plonger dans la BD.
Un spectacle amusant, foutraque, percutant, qui ne vous fera plus jamais voir Cendrillon & co du même œil. Un joli bottage de cul aux contes de notre enfance, qui au fond, n’ont rien d’innocent. Attention, après ça, vous pourriez bien ne plus jamais offrir un costume de princesse à un enfant…
Où voir le spectacle?
A La Manufacture des Abbesses jusqu’au 24 mai 2025