Quelque chose bruisse, se tend, se dérobe sous notre regard étonné. Une voix, un corps, une bande magnétique, tout est là, mais rien ne s’impose. Avec en mon for intérieur, Mellina Boubetra fait du secret une matière à danser, à dire, à détourner, sans jamais se livrer tout à fait.
Ce solo performatif, premier opus d’un cycle imaginé par le musicien et performeur Alvise Sinivia, explore l’idée du secret comme socle identitaire. Seule en scène, la danseuse et chorégraphe manipule un magnétophone à bandes Revox B77, où s’enregistrent en direct des bribes de paroles—fragments de soi aussitôt altérés, triturés, rendus flous par le jeu sur la vitesse ou le sens de défilement. Le son devient une matière malléable, liée étroitement à la gestuelle de Mellina, qui tire, enroule, caresse ou heurte le ruban, comme si elle essayait de dérouler son propre fil intérieur.
L’esthétique du spectacle repose sur une économie de moyens au service d’une densité émotionnelle. Un sol avec un tapis de bandes magnétiques, une table de montage et le corps de Mellina, précis, contenu et toujours vibrant, fragile. La voix amplifiée, distordue ou ralentie évoque l’enfance, l’intime, le doute. C’est dans les gestes retenus, ciselés, étrangement familiers que s’écrit ce qui ne peut se dire. Elle impose une présence singulière, à la fois pudique et affirmée, comme si chaque mouvement cherchait à préserver une zone d’ombre tout en nous y conduisant doucement.
En ouverture, une vidéo signée Furio Ganz dresse un portrait poétique de la danseuse. Elle y tricote, se rase les cheveux, lit autant de gestes symboliques dans un intérieur épuré, baigné de lumière, où l’on sent déjà poindre le trouble d’un récit en creux. Cette vidéo fait écho à la performance scénique, notamment dans la réapparition d’un pull tricoté fluo, porté comme une armure douce ou une mémoire tangible. Le lien entre les deux volets, image et performance, tisse une continuité sensible entre passé et présent, geste intime et exposition publique.
Avec en mon for intérieur , Mellina Boubetra et Alvise Sinivia signent une pièce à la fois fine et déroutante, où chaque élément, son, geste, image, parole et semble pesé, distillé, comme pour approcher au plus près de ce qui se refuse. Le spectacle creuse la tension entre visibilité et opacité, entre l’élan vers l’autre et la nécessité de se protéger. Une œuvre rare, surprenante, précieuse, qui continue de résonner longtemps après avoir quitté la scène.