S’emparer de Colette au théâtre est toujours un défi tant son écriture, tout en subtilité, mêle tendresse, humour et lucidité mordante. Dans Dialogues de bêtes, elle prête sa plume à deux animaux qui, derrière leur naïveté apparente, révèlent toute la complexité des rapports humains. Cette partition à deux voix est magnifiquement incarnée par une comédienne caméléon et sublimée par des illustrations en direct.

Le spectacle s’ouvre dans un silence presque sacré. Sur scène, l’excellent Cyrille Meyer (incroyable bd avec « Jungle Beef »), pinceau à la main, commence à tracer les premiers mots d’un monde imaginaire. Tandis que ses aquarelles prennent vie sous nos yeux, projetées sur un écran, l’extraordinaire comédienne Lara Suyeux se glisse tour à tour dans la peau de son bouledogue Toby-Chien, loyal et candide et de Kiki-la-Doucette, chat précieux et désabusé. Leur duel verbal, tendre et cocasse, devient le miroir déformant mais terriblement juste d’un couple en crise : celui de Colette et Willy.

La mise en scène d’Élisabeth Chailloux fait le choix d’un dépouillement élégant, où chaque geste, chaque mot, chaque coup de pinceau a du sens. Les images peintes par Cyrille Meyer ne sont pas de simples décors : elles deviennent des personnages à part entière, révélant l’humeur, la saison, le lieu et même l’ironie d’une situation. La complicité entre les deux artistes sur scène, entre verbe et dessin, crée un théâtre total, poétique, profondément incarné.

Ce qui séduit dans cette adaptation, c’est la finesse du regard porté sur le texte de Colette et le respect de sa langue, jamais trahie, toujours exaltée. Le travail de Lara Suyeux est remarquable : elle module sa voix, son corps, son énergie, pour passer d’un animal à l’autre, sans jamais tomber dans la caricature. On rit, on sourit, on s’émeut… et on redécouvre, sous les moustaches d’un chat ou les babines d’un chien, toute la modernité d’une femme qui refusait de se taire. La scène de chamaillerie entre les deux compères est d’une grande énergie et l’on admire la prouesse de la comédienne. On ne peut que saluer son talent, sa vitalité et son savoir-faire.

Dans une époque où l’on peine parfois à faire entendre la voix des femmes autrement que dans le fracas, ce spectacle rappelle avec douceur et intelligence que l’intime peut être politique. Dialogues de bêtes n’est pas un simple divertissement animalier, mais un plaidoyer subtil pour la liberté, l’émancipation et la singularité. Une heure de grâce, drôle, fine et visuellement envoûtante : du théâtre comme on en voit trop peu.

Où voir le spectacle? 
Au théâtre de poche jusqu’au 30 juin 2025

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