Le théâtre est un art vivant où la relation entre le comédien et le spectateur se joue dans une alchimie toujours singulière. Avec Conseils aux spectateurs, Jérôme Rouger propose une réflexion ludique et pertinente sur ce lien invisible mais essentiel. Ce spectacle, à mi-chemin entre conférence humoristique et introspection collective, dresse avec finesse un portrait nuancé des habitudes, attentes et travers du public.

Avec Conseils aux spectateurs, Jérôme Rouger offre une réflexion malicieuse et instructive sur une figure souvent ignorée mais pourtant centrale dans l’univers du théâtre : le spectateur. Se posant en observateur avisé de l’art de la représentation, il dissèque les attentes, manies et influences du public sur les comédiens et sur le spectacle lui-même. L’idée est audacieuse et originale, proposant une sorte de sociologie du spectateur. L’approche pédagogique, teintée d’un humour pince-sans-rire, promet autant d’éclats de rire que de moments de réflexion, voire de silence partagé. « Être silencieux ensemble », dit-il, soulignant ce paradoxe propre à l’expérience théâtrale.

Dès les premières minutes, le cadre de l’absurde est posé avec une référence explicite à Pierre Desproges. Puis, à travers une expérience singulière en hommage à sa grand-mère, il joue avec les attentes du public en féminisant tout le langage de son texte. Ce choix, évidemment déstabilisant, invite à une réflexion plus large sur nos habitudes et préjugés : « Luttons ensemble contre les a priori », lance-t-il malicieusement.

Le spectacle se présente sous la forme d’une conférence-spectacle, un format désormais familier mais que Jérôme Rouger maîtrise avec brio. Il dresse un portrait à la fois tendre et satirique de ses spectateurs : des initiés aux blasés, en passant par les distraits qui toussent au mauvais moment, celles qui rient en décalé ou ceux qui s’accrochent frénétiquement à leur portable. Tout cela converge vers un message essentiel : le théâtre est une expérience collective et organique, où la qualité de la représentation repose autant sur le comédien que sur le public. Avec humour, il souligne une vérité rarement admise le public ne dit jamais : on n’a pas été bon, mais il peut être parfois ennuyeux. Cette comparaison inattendue entre aller au théâtre et aller aux champignons  reflète parfaitement le ton décalé de l’ensemble. On ne sait pas ce que l’on va trouver, mais on y va tout de même et on y retourne aussi.

Sur scène, le dispositif est volontairement minimaliste : un paperboard, quelques accessoires, un tabouret et, bien sûr, les fiches que Jérôme Rouger tient en main. Ce dépouillement scénique confère au spectacle un charme particulier, créant une promesse d’intimité et d’interaction. Certaines séquences, comme la typologie des spectateurs ou le final consacré à Lola Flores, atteignent leur cible grâce à une écriture fine et des nuances d’humour savamment dosées. La réflexion sur la place du spectacle vivant dans un monde dominé par la vitesse et la technologie résonne particulièrement bien, offrant des moments de profondeur.

Cependant, le rythme du spectacle, volontairement saccadé, est parfois parasité par des digressions qui peuvent sembler superflues et un ton un peu monotone, notamment lorsqu’il partage des anecdotes personnelles sur sa famille. Ces interruptions, souvent ponctuées par le geste récurrent de boire dans sa gourde, cassent légèrement l’élan. Malgré cela, Jérôme Rouger parvient toujours à redonner de l’énergie au spectacle en recentrant l’attention sur l’essentiel. Avec aisance, il brise le quatrième mur, invitant les spectateurs à se connecter émotionnellement, à « faire monter la température émotionnelle ».

Fidèle à son approche en work in progress, Jérôme Rouger intègre le public comme un partenaire actif de son processus créatif. Jouant sur l’idée d’un spectacle en rodage, il feint de prendre des notes en direct, un procédé certes calculé mais qui participe au jeu et à l’interaction. Pour renforcer cette illusion, il évoque même sa relation avec le directeur du Théâtre de Belleville, ajoutant une touche de véracité à sa mise en scène.

À titre de comparaison, des créations comme L’Art du rire de Jos Houben ou les Cartographies de Frédéric Ferrer réussissent à allier humour et profondeur avec une structure plus rigoureuse. Toutefois, le savoir-faire singulier de Jérôme Rouger, porté par son sens de l’observation et son originalité, mérite d’être salué.

En conclusion, Conseils aux spectateurs de Jérôme Rouger est un spectacle-conférence audacieux et intéressant dans sa démarche. L’idée est là, le talent aussi. Certes, quelques ajustements dans le rythme ou la structure permettraient de le rendre encore plus percutant. Mais c’est sans doute l’une des forces de cet artiste de proposer une expérience unique qui invite à revenir, avec un esprit toujours plus ouvert, pour apprécier autrement cette œuvre à sa juste valeur.

 

Où voir le spectacle?
Mercredi 19 février – La Blaiserie – POITIERS (86)
Jeudi 20 février – La Blaiserie – POITIERS (86)
Mercredi 11 juin 25 – Scènes de Pays, scène conventionnée – BEAUPREAU (49)
Jeudi 13 juin – Scènes de Pays, scène conventionnée – Théâtre Foirail – CHEMILLÉ (49)
Mardi 22 juillet – Festival – SARLAT (24)
Vendredi 12 septembre – Carré Magique, Pôle national cirque – LANNION (22)
Mardi 30 septembre – Théâtre de Villefranche, scène conventionnée – VILLEFRANCHE-SUR-SAÔNE (69)
Vendredi 3 octobre – Théâtre Ducourneau, scène conventionnée – AGEN (47)
Vendredi 17 octobre – Théâtre de Verre – CHÂTEAUBRIANT (44)

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