
Deux êtres autrefois consumés par l’amour se retrouvent enfermés dans un salon qui devient une arène. Entre eux, la langue tranche, séduit, provoque, ravive tout ce qui semblait enfoui. Le spectateur assiste à un duel à la fois sentimental, politique et spirituel, où chaque mot compte.
Jacques Rampal imagine une suite au Misanthrope qui ne se contente pas de prolonger Molière. Elle le questionne et lui répond. Alceste est devenu cardinal, Célimène mère de famille. Leurs retrouvailles ouvrent une brèche où se croisent suspicion, désir, regret, tentation et provocation. Le texte en alexandrins conserve le rythme et la musicalité du classique tout en infusant une ironie très actuelle, notamment dans la critique de l’hypocrisie religieuse. Les sous-entendus fusent, les piques pleines d’esprit font sourire autant qu’elles piquent là où ça fait mal. La relation de pouvoir se déplace sans cesse, passant d’un personnage à l’autre, révélant leurs fragilités sous le vernis des principes. Le ton reste résolument vif, mais sans devenir pesant, grâce à une écriture claire, précise et jubilatoire. On retrouve là un théâtre de mots qui fait réellement plaisir à entendre et qui donne à sourire.
Le jeu des comédiens donne à cette partition toute sa puissance. Amélie Gonin compose une Célimène adulte, libre, affûtée, dont la vivacité n’a rien perdu de sa flamboyance. Face à elle, Robert Plagnol offre un cardinal rongé par le doute, par le désir qu’il tente de contenir derrière la rigidité de sa fonction et ces principes. Leurs échanges possèdent une tension électrique, une ambiguïté délicieuse entre attraction et règlement de comptes. Les regards, les silences, les gestes, le contact, les changements de rythme racontent autant que les vers. On a la sensation d’assister autant à une joute intellectuelle qu’à un règlement intime de vieilles dettes affectives. Ce tandem porte la pièce avec une justesse rare, sans excès, dans une intensité parfaitement maîtrisée.
La mise en scène de Frédérique Lazarini s’appuie sur une idée visuelle forte avec le rouge partout, comme une nappe de passion, de tentation et de danger. Les murs, les matières, le costume du cardinal, signé Nathalie Prats, dialoguent dans une même gamme chromatique qui évoque à la fois la pourpre de l’Église, le sang, la colère et le désir. Cette unité donne au huis clos une dimension presque picturale, où chaque mouvement tranche dans la couleur. La scénographie de Brigitte Veyne reste sobre tout en installant un cadre très lisible, que les lumières de Didier Brun sculptent avec finesse. La musique de Thomas Briant accompagne quelques inflexions du récit sans le surcharger, créant de légères vagues émotionnelles. L’ensemble forme un écrin élégant qui met en valeur le texte et le jeu, en cohérence totale avec l’esprit de la pièce.
Ce spectacle réconcilie le plaisir du verbe avec la force du jeu. On y goûte le bonheur d’un théâtre d’acteurs, tendu, intelligent, investit et fluide. Une rencontre brillante entre patrimoine et actualité, à savourer au Lucernaire.
Où voir le spectacle?
Au Lucernaire jusqu’au 7 décembre 2025