Certaines histoires captivent par leur sincérité immédiate, d’autres par l’ingéniosité de leur dispositif et quelques-unes parviennent à mêler les deux avec une grande finesse. L’expérience proposée ici appartient à cette catégorie lumineuse, celle qui bouscule doucement et laisse une trace durable. On entre dans un récit labyrinthique où la quête identitaire devient un terrain de jeu sensible, vibrant et parfois espiègle.

Le spectacle s’attache à la délicatesse du témoignage d’Anissa, dont la parole navigue entre confidence, humour et quête de vérité. La cuisine, présente sur scène comme un refuge tangible, diffuse des odeurs réconfortantes qui enveloppent le public dans une atmosphère intime. La comédienne partage son histoire en préparant des desserts, suggérant que chaque souvenir se pétrit comme une pâte, se cuit lentement, se savoure enfin. Cette gourmandise scénique crée un pont inattendu entre l’émotion et la douceur, laissant chacun retrouver et interroger une part de ses propres racines. Ahmed Madani, présent à ses côtés, intervient sans imposer, comme un témoin sensible qui accompagne, rectifie, encourage. Leur duo fonctionne avec une complicité généreuse, révélant les zones d’ombre, les éclats de lumière et les surprises d’une filiation mystérieuse. « Le plus important pour nous c’était qu’Anissa agisse. »

La construction narrative, véritable moteur du spectacle est d’une grande finesse. L’histoire s’imbrique dans une autre histoire, qui elle-même en cache une troisième, créant un jeu de miroirs subtil et réjouissant. L’ingéniosité tient dans la manière dont ces récits se tressent, donnant l’illusion d’une vérité mouvante que le public tente de saisir. Le dispositif scénique, composé d’un espace cuisine, d’un écran retraçant la recette et du bureau d’Ahmed équipé d’un ordinateur et de carnets, renforce cette idée que la réalité s’écrit au fur et à mesure, comme un brouillon qui prend forme. Chaque élément participe à la dramaturgie aussi bien les vidéos, le son, les gestes quotidiens, les interruptions presque anodines et les interactions avec le public. On oscille entre enquête, confession et jeu improvisé, dans une fluidité parfaitement orchestrée.

Le spectacle met en lumière la thématique universelle de l’origine. Qui sommes-nous quand il manque une pièce du puzzle ? Comment grandit-on dans l’ombre d’une absence fondatrice ? Quand on regrette de ne pas avoir agi à un moment précis? On avance sans pathos, avec une pudeur remarquable qui laisse la place à l’émotion authentique. La présence douce d’Ahmed Madani, son humour discret, sa manière de se livrer sans s’imposer, donnent au récit une humanité rare. L’écriture rend hommage à la force de la transmission, à la nécessité d’accueillir le hasard et aux rencontres qui redessinent les trajectoires. Anissa est lumineuse et transmet une force charismatique. On comprend alors que cette quête paternelle dépasse le cadre individuel. Elle touche chacun dans son besoin de filiation, de reconnaissance et de compréhension.

Une soirée inventive, chaleureuse et profondément humaine qui nous redonne le sourire et foi dans l’humanité. Une histoire intime qui devient une aventure collective dont on ne ressort pas indemne.

Où voir le spectacle? 
Au théâtre de Belleville jusqu’au 27 février 2026

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